L'éjaculation prématurée, par le Dr Jacques Waynberg.
Jacques Waynberg, né à Toulouse le 22 janvier 1941, est Docteur en médecine, sexologue, psychothérapeute et criminologue. Il est cofondateur de la Société Française de Sexologie Clinique en 1974, fondateur et Président de l'Institut de Sexologie en 1976 et dirige jusqu'en 2007 le diplôme universitaire de sexologie et santé publique à la faculté de médecine de l'Université Paris 7. Grand penseur de la sexologie moderne, il soumet les poncifs attachés à l'activité sexuelle à sa critique rigoureuse et sans concessions.

L'éjaculation prématurée : un faux problème.
De découverte extrêmement fréquente, "l'éjaculation prématurée" pose aujourd'hui de nouvelles questions méthodologiques à la lumière d'une révision des conceptions étiopathogéniques (1) classiques. En effet, l'hypothèse d'une "programmation phylogénétique" (2) des conduites copulatoires humaines, tout en fixant les limites d'une "normalité" biologique sous-estimée jusqu'à présent, compromet la légitimité d'une médicalisation systématique de la prise en charge de ces demandes d'aide en pratique quotidienne, au profit d'efforts inaccoutumés d'information sexuelle "dédramatisante".
Qu'est-ce qu'une "éjaculation prématurée" ?
Classiquement, le terme d'"éjaculation prématurée" désigne une éjaculation physiologiquement normale, mais survenant de façon inopinée et irrésistible dans des délais considérés par les intéressés comme incompatibles avec leur projet érotique. Or, la plus grande confusion règne dans la littérature, où l'on trouve désignées par les mêmes termes, des plaintes relatives à une éjaculation ante portas et des coïts de plusieurs minutes, mais s'inscrivant dans un contexte conflictuel. Une harmonisation des définitions s'impose donc, non seulement en vue de faciliter la recherche clinique et les évaluations des résultats thérapeutiques, mais surtout parce qu'il apparaît de plus en plus évident que cet amalgame rapproche inutilement des catégories de patients bien distinctes.
Quel peut-être l'étalon d'un tel classement ?
Habituellement, les praticiens se sont ligués avec les plaignants pour tracer les lignes de partage entre les différents groupes de cas uniquement en fonction de la durée du coït ; cet étalon chronologique peut justifier à lui seul l'échec et les frustrations d'ordre relationnel qu'il implique, mais le fait nouveau en réalité, c'est de devoir l'encadrer de deux autres paramètres : l'âge des patients et la fréquence des rapports coïtaux.
L'expérience et le bon sens montrent bien qu'avant la trentaine la précipitation difficilement contrôlable d'une éjaculation ne peut pas avoir la même signification que pour un patient de plus de 45 ans. L'"impulsivité" des réflexes décroît naturellement avec le vieillissement, que le sujet ait ou non mené à bien un minimum d'apprentissage de désensibilisation. De même, les témoignages sont unanimes pour désigner la régularité de la vie sexuelle comme principale riposte à l'inévitabilité de l'excitation. Il est évident que ces deux paramètres sont étroitement dépendants l'un de l'autre : plus un sujet est jeune et plus assidue devra être sa vie privée s'il veut conserver un tant soit peu d'ascendant sur ses automatismes sexuels... Ainsi, se profile une définition plus "technique" de cette dysfonction, à savoir, d'une "prématurité" authentiquement pathologique si la brièveté des coïts persiste chez un sujet âgé de moins de 35 ans annonçant plus de trente rapports mensuels et au moins 20 entre 35 et 40 ans .
Qu'est-ce qu'une éjaculation "normale" ?
À ce stade de la réflexion l'accent est mis sur l'aspect "comportemental" de la question, forçant le praticien à récuser un certain nombre d'"autodiagnostics" de patients célibataires abstinents ou de maris déchus, et à réserver les diagnostics de "prématurité" authentiquement anormale à des cas disons de dyslexie sexuelle, d'échecs patents des processus d'apprentissage, alors même que l'interrogatoire révèle qu'en termes de fréquence et d'harmonie sentimentale, les conditions optimales sont réunies depuis au moins six mois. Cela étant, peut-on dire qu'il suffirait ainsi de considérer comme "illogique" cette incapacité à apprendre chez un sujet pourtant assidu et appliqué, pour que se constitue un "symptôme" ? Non, c'est là une condition nécessaire, mais non suffisante pour établir formellement un diagnostic : l'approche cognitive des comportements coïtaux doit s'appuyer sur les normes physiologiques.
Contre toute attente, on observe que la tradition s'est peu interrogée sur ce qui est humainement normal en matière de sexualité. Or, la confrontation des données épidémiologiques concernant le vécu des premiers coïts chez le garçon, et la synthèse des observations faites chez la quasi-totalité des autres espèces de primates par les éthologues, permettent de poser comme hypothèse qu'il existe une "programmation phylogénétique" de la durée des coïts des primates, provoquant en définitive une précipitation habituelle de l'éjaculation peu après l'intromission.
Universel, automatique et impérieux, ce "clip coïtal" tyrannise les occidentaux, mais il est naturel ! Biologiquement parlant donc, l'éjaculation prématurée n'est pas à priori un problème, mais la norme, venant depuis toujours et chez tous les êtres humaines, achever en quelques secondes la phase coïtale du "rapport". Ainsi délimité de façon précise, ce degré zéro de la vie sexuelle constitue bien un dénominateur commun, une ligne de départ, pour tout homme désireux d'accéder progressivement à un minimum d'autonomie vis à vis des tutelles génétiques.
Ce n'est donc que dans un deuxième temps, en fonction de critères à la fois subjectifs et surtout socioculturels, que se met graduellement en place une ontogenèse (3) de la fonction érotique masculine, tentant (souvent en vain) à abjurer l'héritage biologique. Le maintien de l'érection coïtale à volonté… est donc un dessein "contre-nature" ; situé aux confins de l'intelligence et de l'apprentissage, un tel projet implique bien sûr un engagement personnel des intéressés et, cela va de soi, le concours habile et pertinent des partenaires.
Qu'est-ce qu'une "éjaculation médicalement assistée" ?
La prise en charge des patients consultant pour "éjaculation prématurée" doit se dérouler en trois étapes : l'approbation du diagnostic, la recherche de l'organicité et l'aide à la deshabituation.
L'approbation du diagnostic s'appuie naturellement sur les données de l'interrogatoire, mais elle relève désormais de deux conceptions contradictoires. Pour certains auteurs en effet, il est licite de valider immédiatement l'autodiagnostic des patients dès lors qu'ils expriment une souffrance tenant à la précarité de leurs performances. Le symptôme-cible est précisément cet énoncé, que cette plainte soit conforme ou non à des critères cliniques rigoureux. Pour "charitable" qu'il soit, un tel amalgame de toutes les histoires liées à la durée du coït, crée la confusion des dénominations et peut expliquer l'irrégularité des résultats thérapeutiques. À l'opposé, une plus grande rigueur diagnostique réfute, si besoin est, l'avis des patients et permet une reformulation de la demande. En somme, stricto sensu, n'est plus qualifiée de "prématurée" qu'une éjaculation survenant en moins de 10' de coït dans les conditions de fréquence des rapports et de chronicité du handicap rappelées plus haut. Neuf fois sur dix dans ces cas précis, l'intitulé de la plainte sort du cadre de l'éjaculation précoce, pour investir en réalité le chapitre des "mésententes conjugales". Au total donc, toutes les éjaculations rapides ne sont pas à approuver sans vérifier que l'intéressé a une vie privée assidue et opiniâtre.
Après confirmation du diagnostic d'"incontinence éjaculatoire" suit l'étape, généralement facile à proposer au patient, de vérification d'absence d'organicité ; un raccourcissement du rein, un phimosis, des adhérences ou une inflammation préputiales, peuvent faire office d'"épine irritative" et provoquer un tel surcroît de sensations que la vitesse d'enchaînement des réflexes s'en trouve accélérée en permanence. Cette enquête s'appuie sur le seul examen clinique. Mention spéciale doit être également faite à la recherche de l'effet iatrogène de prescriptions médicamenteuses capables de contaminer l'organisation réflexe en question ; en pratique quotidienne il s'agit essentiellement de drogues sympathomimétiques stimulant les récepteurs alpha précipitant parfois l'éjaculation. En dehors des indications d'urgence face à une hypotension par exemple, ces drogues peuvent être absorbées au long cours, dans le cas de l'asthme (produits à base d'éphédrine) ou d'affections rhino-pharyngées diverses (produits à base de phénylephrine).
Dans la deuxième partie de cet article le docteur J.Waynberg développera l'aspect thérapeutique de la prise en charge de l'incontinence éjaculatoire.
Article publié avec l'aimable autorisation du Dr Jacques Waynberg.
Source : https://sexologies.fr/
1 - L'étiopathogénie est l'étude des causes et des facteurs d'une maladie.
2 - La phylogénétique est relatif à la phylogenèse soit l'histoire évolutive d'une espèce ou d'un groupe d'espèces apparentées.
3 - Ontogénèse décrit le développement progressif d'un organisme depuis sa conception jusqu'à sa forme mûre, voire jusqu'à sa mort. Dans le domaine de la psychologie elle désigne le développement de l'individu depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte.
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