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La ménopause dans l’Histoire.

La ménopause dans l’Histoire.

La représentation dominante de la ménopause est bien traduite dans ce slogan : « Ménopause, pour que la femme reste femme », présent dans une publicité pour un traitement hormonal représentant une femme… jeune. Il s’agit d’une prétérition, une figure de rhétorique désignant par l’opposition quelque chose que l’on n’ose pas dire ou ne dit pas franchement.

La ménopause dans l’Histoire.

De la représentation dominante de la ménopause.

La représentation dominante de la ménopause est bien traduite dans ce slogan : « Ménopause, pour que la femme reste femme », présent dans une publicité pour un traitement hormonal représentant une femme… jeune. Il s’agit d’une prétérition, une figure de rhétorique désignant par l’opposition quelque chose que l’on n’ose pas dire ou ne dit pas franchement. Dans cet exemple, le propos implicite est que sans le traitement hormonal, la femme n’est plus une femme. Mais qu’est-ce que « La » femme ? Une essence féminine, détachée de tout contexte social. Comme le disait Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue et féministe française, « c’est déjà une discrimination fondamentale que de parler de "la" femme, un corps générique sur lequel se greffent jugements, mythes, fantasmes, et non des femmes, c’est-à-dire des individus. » Une autre publicité pour un progestatif, le Duphaston© utilise le slogan « Pour que dure l’éternel féminin ». En 1949 Simone de Beauvoir écrivait dans Le deuxième sexe : « L’éternel féminin, c’est l’homologue de "l’âme noire" et du "caractère juif", c’est-à-dire un processus de justification identique d’une condition inférieure. »

L’Histoire de la ménopause a commencé il y a très longtemps.

La ménopause, dont on parle depuis l’Antiquité, c’est l’arrêt des règles et par conséquent, de la fertilité. Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, écrit au 1er siècle à propos du sang menstruel que « … à son contact, les céréales deviennent stériles, la rage s’empare des chiens qui goûtent ce liquide, les miroirs se ternissent, les épées rouillent… »  Dès cette époque, le sang menstruel est considéré comme extrêmement toxique.

Pour entendre parler de l’arrêt des règles, il faut attendre le XIIIème siècle avec le dominicain érudit Albert Le Grand et son ouvrage, Des secrets des femmes où il écrit : « Les vieilles femmes, si elles regardent des enfants dans un berceau, elles leur communiquent du venin par leur regard. C’est parce que la rétention des menstrues engendre beaucoup de méchantes humeurs. » Selon Le Grand, les vieilles femmes donc « retiennent du sang », ce sang considéré comme impur et toxique, reste dans leur corps et l’infecte, ainsi que leur œil, leur regard, et jusqu’à l’air que respire l’enfant en leur présence. Quelques siècles plus tard, en 1515, Philippe II d’Espagne écrit un mandat selon lequel les vieilles femmes sont particulièrement suspectes du crime de sorcellerie. Ainsi, 80% des 20 000 à 50 000 victimes de l’Inquisition espagnole seront des femmes, brûlées sur la base d’une accusation de sorcellerie.

Un autre slogan publicitaire de la marque Divine, pour un médicament contre la ménopause : « Divinement femme ». Ici, la prétérition sous-jacente nous renvoie à l’Inquisition d’Espagne. Sans traitement hormonal, la femme est une sorcière.

Aux XVIIIème et XIXème siècles, la femme devient moins dangereuse pour son environnement et pour autrui, mais le devient pour elle-même.

Ces virus âcres et morbifiques contenus dans le sang menstruel demeurant en elles, leur donnent des maladies. Diderot dans L’âge critique, parle de « maladies longues et dangereuses qui affligent la femme à cet âge-là. » Astruc, l’un des premiers gynécologues, médecin à la cour en 1765, avance que « la cessation des règles attire des vapeurs hystériques très fortes et très vives. » et il faut attendre 1821 pour qu’un autre médecin, Charles Prospère Louis de Gardanne invente le terme de ménopause qu’il utilisera dans son ouvrage De la ménopause ou de l’âge critique des femmes. Jusqu’alors, on parlait de la « cessation des menstrues », de « l’arrêt des règles », de « l’âge critique » terme qu’il conserve dans son titre et qui est une notion dérivant de la division pythagoricienne des âges de la vie, de 7 en 7. Ainsi, 49 ans (7x7ans) représente une année critique, celle qui est spécifique à la femme, alors que 63 ans (7x9 ans), est commune à l’homme et la femme. Ce terme « L’âge critique des femmes », était celui employé dans le vocabulaire savant.

De Gardanne détaille de nombreux troubles associés à la ménopause. Reprenant le modèle de la rétention, il écrit : « Le sang menstruel s’adresse à tous les organes lorsque son écoulement est supprimé. Il les congestionne, et il s’ensuit un état de pléthore. » Par pléthore, Poquillon lui, entend « des signes d’apoplexie, de pleurésie, de pneumonie, d’hémoptysie, d’odontalgie. Les feux et les chaleurs de la figure, les hémorragies nasales. » À cet âge critique, nous dit encore le médecin J.S Baron dans De la ménopause, « la femme devient morose, inquiète, taciturne. Sans cesse elle regrette des jouissances qui ne sont plus de son âge. Alors, selon sa classe sociale, elle a le choix entre l’ivrognerie et la dévotion. »

Une autre représentation est celle, présentée par L-F Bergeret d’Arbois dans Des fraudes dans l’accomplissement des fonctions génitrices (1868), d’une femme hypersexuelle : « Aucune crainte ne vient endiguer ses débordements. Elle se livre à des coïts effrénés qui épuisent son partenaire. » En 1846, Poquillon parle aussi de ce qui se passe du point de vue nerveux : « Ce sont des rêves fatigants, de la tristesse, de la mélancolie ou un état d’exaltation. » Kraepelin dans la foulée, quand il évoque les 5 grandes catégories de dépression, décrit la mélancolie d’involution, spécifique aux femmes ménopausées. Mais quelques années plus tard, il change d’avis en disant que les femmes atteintes de cette mélancolie étaient déjà mélancoliques avant la ménopause. Il sera l’un des premiers à critiquer le tableau pathologique associé à la ménopause.

L’intérêt pour les hormones féminines débute à partir des années 1820.

On avait découvert les hormones thyroïdiennes et l’insuline mais la recherche ne s’était jamais penchée sur la recherche d’hormones féminines. C’est un laboratoire hollandais, le laboratoire Organon, qui a découvert les œstrogènes qui ont été testés dans toutes sortes de pathologies : le rhumatisme, l’épilepsie, la schizophrénie, l’eczéma. Finalement, on a retenu assez peu de choses, sinon que les œstrogènes pouvaient provoquer un cancer de l’utérus chez l’animal. Leur utilisation est donc restée très limitée.

Néanmoins, dans les années 1960, existait un immense marché potentiel pour l’industrie pharmaceutique et trois grands laboratoires se sont réunis pour créer une fondation dirigée par Robert Wilson, un gynécologue exerçant à Brooklyn, pour faire la promotion du traitement hormonal œstrogénique de la ménopause. Wilson écrit un article, De la puberté jusqu’à la tombe, puis un livre, Feminine forever où il dresse un portrait absolument dramatique des femmes ménopausées pour justifier le traitement hormonal. Par exemple, il parle de la douleur jamais racontée de l’alcoolisme, de la toxicomanie, du divorce et des foyers brisés par ces femmes privées d’œstrogènes. Mais grâce à la "Youth Pill", les femmes pourront désormais remplir leurs devoirs conjugaux, être agréables et disponibles pour leur mari. Et ce fut un succès. Pour rester jeunes, des millions de femmes aux États-Unis prendront des œstrogènes seuls ou associés à la pilule contraceptive, parfois même avant la ménopause.

Suivant le discours dominant de l’époque, un psychiatre, David Reuben écrit en 1969 un best-seller, Tout ce que vous voulez savoir sur le sexe où il va jusqu’à écrire : « Ayant épuisé leurs ovaires, elles ont épuisé leur utilité en tant qu’être humain ». Et dans cet énoncé très laconique, l’auteur résume la fonction attribuée aux femmes : la reproduction, en dehors de laquelle elles n’ont aucun rôle social. Le philosophe Schopenhauer s’est également prononcé : « En général, nous recherchons l’âge compris entre l’apparition et la fin de la menstruation. Une femme vieille, c’est-à-dire qui a passé l’âge de la menstruation, ne nous inspire que de la répugnance. Sans doute nous nous laissons en cela guider à notre insu par la simple possibilité de reproduction ; chaque individu perd de son charme pour l’autre sexe à mesure qu’il s’éloigne de l’âge le plus propre à la reproduction ou la conception. »

En France également, en 1967, un chirurgien urologue, Gérard Zwang écrit dans Le sexe de la femme : « La femme n’est véritablement femelle, pénétrable, désirante et désirable, que de la puberté à la sixième décennie de sa vie. Bien entendu, quand nous disons les femmes, nous voulons dire les femmes. Nous ne voulons pas dire une dame âgée. » Voilà donc à quoi renvoient les slogans publicitaires évoqués plus avant, dont la représentation sous-jacente est qu’une femme ménopausée n’est plus une femme et qu’elle n’a plus aucune utilité sociale. 

Puis, en 1975 un autre médecin français, Anne Dénard-Toulet a voulu emboiter le pas à Wilson, et a écrit La ménopause effacée, un intéressant témoignage sur ce qui se disait à l’époque sur les femmes ménopausées dans un corps médical très misogyne. L’autrice raconte qu’une femme qui demandait un traitement hormonal à la ménopause se faisait très mal recevoir, et qu’il arrivait même qu’on lui demande si elle était prostituée. En effet, à l’époque, les gynécologues étaient très misogynes, il y avait une franche hostilité envers le traitement hormonal qu’elle défendait. Elle a néanmoins dépeint un tableau apocalyptique de la ménopause, une sorte de délire médical. Et la « peste », terme utilisé pour décrire la ménopause, est le surtitre du chapitre principal présent sur tous les hauts de page. Dans son ouvrage, on ne compte pas moins de vingt pages sur le visage, et une page entière consacrée à l’œil, sur lequel on peut lire : « … Un œdème envahit souvent cette graisse, particulièrement avide d’eau, les paupières bouffies s’alourdissent sur l’œil, voilant le regard, faisant le masque de la ménopause. »

À partir des années 1980, des médecins, des gynécologues, avec l’aide des laboratoires pharmaceutiques, font à leur tour la promotion du traitement hormonal de la ménopause.

Suite à une recrudescence de cancers de l’utérus aux États-Unis dans les années 1970, on s’est rendu compte qu’il fallait l’associer avec des progestatifs. Le problème résolu, la promotion de traitements contre la ménopause reprit de plus belle et dans les années 1990, quelques médecins leaders d’opinion ont écrit des livres sur le sujet. Henry Rosenbaum fut l’un d’eux. Sur la première de couverture de La cinquantaine épanouie, on peut lire : « Les traitements actuels permettent à la femme ménopausée de rester belle, désirable et active. » Encore une prétérition, et toujours la même : sans traitement hormonal, la femme ménopausée n’est ni belle, ni désirable, ni active.

Les féministes montent au créneau.

Tous ces livres – légion en français comme en anglais – ont suscité une virulente réaction des féministes américaines en raison d’une forte médicalisation dans le pays. Elles ont produit des travaux très intéressants comme le livre How I serve growing older revendiquant le droit pour les femmes ménopausées, de vivre sans traitement œstrogénique et sans être assimilées à cette catastrophe que représentait la femme ménopausée dans le discours médical destiné au grand public. Germaine Greer, célèbre féministe qui a eu son heure de gloire dans les années 1960-1970 a écrit La femme eunuque et The change, terme anglais employé pour décrire la ménopause, critique aussi sévèrement le discours médical, les médecins, ainsi que la représentation populaire de la ménopause. 

En France, parce qu’il n’y a pas eu cette médicalisation intense, très peu de travaux ont été entrepris chez les féministes. L’un d’eux, paru dans la revue Remue-Ménage, a très bien pensé les choses : « De cette nuée de symptômes, nous retenons surtout qu’il n’y a pas de fatalité organique. Plutôt les ravages d’un statut social des femmes encore et toujours lié à la procréation. »

En conclusion, on voit qu’au fil de l’Histoire, le phénomène biologique de l’arrêt des règles et de la fertilité fait l’objet d’une construction culturelle et sociale produite par les rapports sociaux entre les hommes et les femmes, tous construits sur le principe de domination masculine.

Ressources : pns-mooc.com

- Centre Virchow-Villermé
- Université Paris Descartes
- Université de Genève -
- Faculté de médecine

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