La pornographie et la dysfonction érectile
Les facteurs qui jusqu’alors pouvaient expliquer les troubles de la sexualité apparaissent aujourd’hui tout à fait insuffisants pour expliquer la forte augmentation des troubles de l'érection et les pertes de désir chez les hommes de moins de quarante ans.

La dysfonction érectile touche des hommes de plus en plus jeunes.
Les facteurs qui jusqu’à présent permettaient d’expliquer les problèmes sexuels des hommes sont devenus obsolètes pour rendre compte de la nette augmentation des troubles de l’érection et de la libido chez les moins de quarante ans. Des altérations du système de récompense dues à la consommation de pornographie sont listées parmi les possibles causes de la dysfonction érectile.
Jusqu’à ces dernières années, les dysfonctions érectiles et les pertes de désir touchaient essentiellement les hommes de plus de 40 ans. Aujourd’hui, plusieurs recherches ont montré une progression de ces problématiques chez ceux ayant moins de 40 ans. En 2012, une équipe de chercheurs suisses a déclaré que 30 % des hommes de 18 à 24 ans examinés souffraient de dysfonctionnement érectile. En 2013, une étude italienne a pointé qu’un homme de moins de 40 ans sur quatre avait fait appel à des professionnels pour résoudre des problèmes d’érection naissants et que des cas sévères de dysfonction érectile touchaient aujourd’hui les trentenaires. En 2014, une étude canadienne a révélé que 53,5 % des adolescents âgés de 16 à 21 ans montraient des symptômes de troubles sexuels : dysfonction érectile, perte de désir, anorgasmie. Les problèmes érectiles accompagnés de perte de désir sont maintenant observés régulièrement par les cliniciens, un fait confirmé par une étude de 2015 portant sur une population de trentenaires souffrant de troubles du comportement sexuel liés à un usage excessif de pornographie et de masturbation.
Les diverses origines de la dysfonction érectile.
La dysfonction érectile peut être d’origine psychogène ou organique. Dans le premier cas, des facteurs psychologiques sont la cause des troubles : dépression, stress, anxiété. Dans le second, c’est l’état de santé de l’individu qui pose problème : maladie neurologique, dérèglements hormonaux, malformations anatomiques ou effets indésirables de traitements médicamenteux. Pour les hommes de moins de 40 ans, les troubles de l’érection sont psychogènes dans 80% des cas et organiques dans seulement 20 %.
La brusque augmentation des troubles sexuels touchant les jeunes hommes serait, pour une partie des chercheurs, associée à nos modes de vie : malbouffe, manque d'activité physique, et/ou abus de substances psychoactives. Mais l’explication ne tient pas au regard des chiffres car la salubrité des styles de vie n’a pas évolué dans le même sens que les troubles de la sexualité. L’obésité chez les hommes entre 20 et 40 ans n’a augmenté que de 4 % sur la période 1999-2008. L’usage de produits stupéfiants chez les adolescents de plus de 12 ans est resté stable durant ces quinze dernières années. Le nombre de fumeurs lui, a diminué aux USA et s’est stabilisé en Europe. Les sources psychologiques, dépression et anxiété, envisagées par quelques auteurs scientifiques, ne sont pas plus plausibles. En effet, les rapports entre la dépression, l’anxiété et le désir sexuel sont d’une grande complexité et quand certains indiquent accuser une baisse de libido, d’autres au contraire rapportent un renforcement de cette dernière. De plus, les relations entre la dysfonction érectile, la dépression et/ou l’anxiété sont à double sens, la première pouvant provoquer les secondes et inversement.
La pornographie et la dysfonction érectile.
Les chercheurs de l’Institut Kinsey ont été parmi les premiers à établir un lien entre porno-dépendance, baisse de libido et troubles de l’érection. En 2007, ils ont conduit une étude sur une population travaillant dans des bars et saunas diffusant des vidéos pornos en continu et conclu que chez la moitié des sujets, ces projections n’avaient plus le moindre pouvoir d’excitabilité. L’exposition répétée à la pornographie induirait une désensibilisation progressive et une diminution de la réponse sexuelle. Ainsi, pour obtenir une érection totale, les accros du X n’auraient d’autre choix que de visionner des contenus de plus en plus extrêmes.
La pornographie en ligne est de plus en plus citée comme élément crucial de la recrudescence des troubles de la sexualité masculine. Sur le célèbre forum américain MedHelp.org ED Forum, spécialisé dans les discussions autour de la dysfonction érectile, 60 % des 3 962 visiteurs en détresse avaient moins de 25 ans et l’analyse de leurs posts et commentaires montrait que l'item « porno » était de loin le plus usité. En 2015, une étude américaine entreprise dans le milieu des étudiants de quatrième année a mis en évidence un lien entre consommation régulière de pornographie et perte de désir sexuel. Parmi ceux qui s’adonnaient à la pornographie plus d’une fois par semaine, 16 % reconnaissaient accuser une baisse de libido. Dans le même groupe, les non-consommateurs affirmaient ne rien expérimenter de tel. Une autre étude produite la même année et ciblant des hommes de 40 ans (définis comme hypersexuels en recherche de traitement) pratiquant la porno-masturbation plus de sept heures par semaine, révélait que 71 % d’entre eux montraient des troubles de la sexualité et notamment, pour 33 %, des difficultés à atteindre l’orgasme.
Comme les chercheurs, les cliniciens observent les effets néfastes de la consommation de pornographie. Le psychiatre Norman Doidge affirme toutefois que le sevrage permet un retour à la normale. De leur côté, les docteurs Bronner et Ben-Zion ont cité le cas d’un homme consommateur de hardcore extrême affichant une perte d'excitation pour la sexualité réelle et qui, après huit mois d'abstinence, était à nouveau en capacité de produire une érection dans le contexte d'une relation sexuelle « normale ». Néanmoins, le manque de recherches dans le domaine ne permet pas d’affirmer avec certitude que dans tous les cas de corrélation entre pornographie et troubles sexuels, l’arrêt de la première entraînerait la fin des seconds.
La surexposition aux contenus pornographiques et les stimuli supranormaux.
La notion de variation des stimuli est essentielle pour appréhender les mécanismes cérébraux en jeu dans la survenue de l’excitation sexuelle. Il a par exemple été démontré que l’exposition à un contenu porno inédit déclenchait une plus forte érection, une éjaculation plus rapide et plus abondante que l’exposition à un matériel déjà connu. Une des explications repose sur le concept de variation des partenaires, une programmation des comportements sexuels dédiée à l’optimisation du processus de reproduction. La pornographie via le net, qui offre un renouvellement constant des vidéos et des genres, s’inscrirait alors parfaitement dans ce schéma.
Plusieurs expériences ont d'ailleurs mis en évidence qu’un stimulus sexuel nouveau provoquait un afflux massif de dopamine dans les régions cérébrales associées au système de récompense. C'est sans doute la raison pour laquelle les « pornophiles » compulsifs développent une forte préférence pour les images sexuelles inédites et que l’immense variété des contenus pornographiques disponibles sur le net favorise et amplifie les processus de porno-dépendance.
Le système de récompense incite les individus à répéter des comportements essentiels à leur propre survie ainsi qu’à celle de l’espèce. Ces comportements sont associés à l’alimentation, la socialisation et les activités sexuelles. Mais concernant ces dernières, le système de récompense n’est pas en mesure de faire la discrimination entre activité sexuelle potentiellement reproductrice et masturbation stérile devant des écrans, car les stimuli réels ou factices activent les mêmes réseaux neuronaux. La pornographie agit comme un stimulus sexuel qui leurre le système de récompense et son usage, s’inscrivant dans le champ des comportements sexuels valides aboutissant à récompense, induit chez le consommateur un désir persistant de réitération.
Parallèlement, il est établi que la sexualité et les drogues sollicitent les mêmes groupes de neurones liés au système de récompense. Par exemple, la méthamphétamine ou l’ecstasy stimulent des mécanismes et des unités fonctionnelles du système nerveux central identiques à ceux impliqués dans les récompenses naturelles associées à la stimulation sexuelle. Il a été aussi démontré que chez les personnes dépendantes à la cocaïne, les contenus pornos et le désir de consommer déclenchaient des patterns d’activation cérébrale semblables.
Quand la consommation de pornographie devient une dépendance.
À ce jour, les risques de dépendance associés à la consommation excessive de pornographie ne sont pas autant médiatisés que ceux liés à l'alcoolisme et au tabagisme. En outre, regarder des contenus pornos est perçu comme un comportement normal et socialement acceptable. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les hommes associent rarement leurs troubles érectiles et leur porno-dépendance, certains voyant même dans cette dernière la marque de leur puissante libido.
La dépendance à la pornographie est à comprendre comme une neuroadaptation. Les troubles de la sexualité associés à son usage se traduisent à la fois par une hyper et une hypoactivité du système de récompense.
- L’hyperactivité du système de récompense est caractérisée, dans le cas présent, par un accroissement de la saillance motivationnelle pour la consommation de pornographie. Il s’agit d’une propriété cérébrale permettant à un stimulus d’être perçu comme prioritaire par rapport à d’autres. Le stimulus saillant, ici la pornographie, va acquérir des propriétés motivationnelles exceptionnelles qui orienteront les décisions de l’individu vers des choix en rapport avec ce type de stimulus.
- De son côté, l’hypoactivité du système de récompense se singularise par une réponse déficiente aux stimuli normaux, comme la sexualité réelle. Les recherches sur la dysfonction érectile psychogène fournissent des preuves supplémentaires du rôle que joue l’hypoactivité du système de récompense dans les troubles de l’érection et de la libido. En effet, la prise d’apomorphine, qui agit comme la dopamine et dont l’action est recherchée pour le traitement de la dysfonction érectile, permet aux individus porno-dépendants de retrouver un fonctionnement cérébral comparable à celui de sujets sains.
En associant de façon chronique excitation sexuelle et porno, l’individu perd ses capacités à obtenir et maintenir une érection dans le cadre d'une activité sexuelle classique. En d’autres termes, le stimulus associé à cette dernière ne sera plus reconnu par le système de récompense et la production de dopamine sera insuffisante pour assurer celle d'oxyde nitrique (monoxyde d’azote) indispensable à une érection complète et durable. De plus, l'hypoactivité du système de récompense induit un phénomène de tolérance fonctionnelle, tel que l’on peut l’observer chez les alcooliques, soit une accoutumance provoquant la nécessité de consommer plus ou plus fort. Dans le cas de la pornographie, pour obtenir la récompense, l’individu sera contraint de multiplier les stimuli en passant de façon frénétique d’une vidéo à une autre et/ou de visionner des contenus plus extrêmes voire des contenus en totale contradiction avec son orientation sexuelle. Il a d’ailleurs été démontré qu’une majorité des « pornophiles » pouvaient s’exciter à la vue de contenus qu’ils trouvaient dégoûtants au début de leur vie sexuelle.
Une altération du système de récompense.
Il semble acquis que l’exposition répétée à des vidéos pornographiques entraîne une diminution de la réponse du système de récompense. De ce fait, les consommateurs assidus réclament des stimulations visuelles de plus en plus intenses, un processus logiquement moins prévalent chez les occasionnels. De plus, l’usage excessif des matériels pornographiques induit un affaiblissement des connexions entre deux régions cérébrales, le striatum et le cortex préfrontal. Les dysfonctionnements de ce circuit sont associés au dérèglement des mécanismes de prise de décision et oblitèrent les capacités de l’individu à rejeter les comportements pouvant lui être nocifs. Différentes études neuropsychologiques ont confirmé que les sujets ayant développé une addiction au cybersexe subissaient un affaissement de leur fonction exécutive de contrôle des comportements, c’est-à-dire de leur faculté à établir des priorités, résister aux impulsions et à inhiber les automatismes.
Chez les « pornophiles » compulsifs, le cortex cingulaire antérieur, qui joue un rôle dans l’anticipation de la récompense, montre des signes d’accoutumance lorsqu’il est soumis à des stimuli visuels répétés et identiques. Leur appétence pour la nouveauté est ainsi corrélée à une habituation du cortex cingulaire antérieur, un conditionnement cérébral qui se traduit par :
- une moindre réactivité cérébrale face à une brève exposition à des images sexuellement explicites ;
- une préférence pour une variation des stimuli sexuels ;
- un volume de matière grise diminué dans le noyau caudé.
Dopamine et comportements sexuels.
Les consommateurs de pornographie parviennent à maintenir un niveau d’excitation suffisant pour se masturber en suractivant la production de dopamine via la variation des stimuli. Lorsque la dopamine est sécrétée en grande quantité, elle peut modifier les comportements sexuels d’une manière inattendue, que ce soit chez les animaux ou les humains. Plusieurs patients atteints par la maladie de Parkinson sous traitement d’agonistes de la dopamine, soit des substances chimiques activant les récepteurs dopaminiques, ont rapporté avoir connu des épisodes de boulimie pornographique, une plus grande réceptivité aux images sexuellement explicites et un renforcement de leur libido.
Nombre de chercheurs s’accordent à dire qu’une consommation de pornographie précoce augmente la probabilité de développer à l’âge adulte des troubles de la sexualité. Il est de plus en plus évident qu’il existe une période critique du développement des comportements sexuels qui s’articule autour des premières expériences : naissance du désir, premières masturbations et premiers orgasmes. Quand ils sont exposés à des vidéos pornographiques, les jeunes consommateurs de pornographie montrent d'ailleurs une activité anormalement élevée dans le striatum ventral, une région cérébrale connue pour son implication dans la motivation sexuelle.
Une nouvelle et nécessaire approche de la dysfonction érectile.
Nous pouvons donc dire que les facteurs qui jusqu’alors pouvaient expliquer les troubles de la sexualité apparaissent aujourd’hui tout à fait insuffisants pour expliquer la forte augmentation des dysfonctions érectiles et les pertes de désir chez les hommes de moins de quarante ans. La littérature scientifique ainsi que les différentes études traitant du sujet soulignent surtout la nécessité d’investigations plus poussées. Notamment, il serait capital, pour bien cerner la problématique attachée à la consommation excessive de pornographie, d’étudier des sujets sevrés pour mesurer l’impact des changements comportementaux. Une étude de 2015 a révélé que la préférence pour des récompenses immédiates décroît rapidement chez les sujets qui font l’effort de stopper leur consommation. La notion de performance sexuelle et l’anxiété qu’elle peut générer, avancée pour expliquer les troubles de la sexualité chez les jeunes hommes, ne saurait être la seule piste de réflexion. Les recherches futures devront aussi prendre en compte la rapidité d’accès aux contenus, via le streaming qui offre l’opportunité de passer d’un contenu à un autre en quelques secondes.
Parce que les troubles de la sexualité causés par la consommation de pornographie ne font pas l’objet de diagnostic spécifique, les professionnels de la santé omettent souvent de prendre en compte cet aspect de la problématique. Pour les patients qui manifestent des dysfonctionnements érectiles et/ou des difficultés à atteindre l’orgasme seulement pendant les rapports sexuels, il est généralement admis que les ennuis sont d’ordre psychogénique. Cependant, le fait que la masturbation soit de façon presque systématique associée à la consommation de vidéos pornographiques, surtout chez les jeunes hommes, est rarement pris en considération.
En conclusion, n’oublions pas que les troubles de la sexualité peuvent être multifactoriels. Le manque d’estime de soi, la dépression, l’anxiété, les traumas, le stress, les troubles de la santé mentale, le tabagisme, l’alcoolisme, l’obésité, la sédentarité, le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires ou l’hyperlipémie peuvent s’additionner au problème d’addiction à la pornographie. En tout état de cause, la compréhension des dysfonctionnements sexuels doit passer par une approche holistique de l’humain.
{reply-to}{comment}{status-info}
Poster un commentaire