Santé sexuelle

Que veut dire être en bonne ou en mauvaise santé sexuelle ?
Nous connaissons tous le concept contemporain de santé, décrit par l'OMS comme étant un état de complet bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Au XIXème siècle, était en santé quiconque ne souffrait d'aucune maladie, handicap physique ou mental. La santé se réduisait alors à la vie dans le silence des organes(1) et était considérée comme un donné naturel statique.
Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, le concept de santé a évolué, devenant un processus à maintenir et développer via l'éducation et la responsabilisation des individus quant à leurs comportements. De nos jours, une des méthodes employées est la promotion sociale de la santé (campagnes de vaccination, promotion du préservatif, sensibilisations aux risques liés à la consommation de tabac, d'alcool etc.), parce que le concept de santé publique suggère l'impact de la santé individuelle sur l'ensemble d'une population.
Tout comme pour le concept de santé, dans les années 1970-1975, l'OMS a défini le concept de santé sexuelle comme étant l’intégration des aspects somatiques, émotionnels, intellectuels et sociaux de l’être humain sexué, de façon à parvenir à un enrichissement et un épanouissement de la personnalité, de la communication et de l’amour. Sur son site officiel, l'organisation présente la santé sexuelle comme un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité, requérant une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence. En faisant de la santé sexuelle un concept, en lui donnant une définition, l'OMS reconnaît implicitement l'importance que revêt la sexualité dans l'état de santé général d'une personne. Outre le fait de ne souffrir d'aucune maladie sexuellement transmissible (VIH, MST) et d'aucun trouble sexuel d'ordre fonctionnel, le concept de santé sexuelle va plus loin et englobe également la dimension psychologique, les notions de bien-être et d'épanouissement de l'individu, voire du couple.
Les différentes orientations et sensibilités sexuelles s'inscrivent-elles dans les prérequis donnant accès à une bonne santé sexuelle ? Nous savons que l'homosexualité fut considérée aux États Unis jusqu'en 1973 et en France jusqu'en 1992 comme une maladie mentale. Face à la pression exercée par les associations gays américaines, l'homosexualité n'a été retirée du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) qu'à l'occasion de la publication de sa troisième édition. Quant aux pratiques BDSM, fétichistes et sadomasochistes, elles sont qualifiées de paraphilies dans le DSM5, après avoir été longtemps considérées comme des perversions.
Si donc les deux formulations sus-citées ne permettent aucun doute quant à la possible santé sexuelle de personnes d'orientation non hétérosexuelle et/ou pratiquant une sexualité hors norme, le classement de ces dernières dans le DSM5 interroge quant à l'apparente contradiction entre la définition d'un idéal de bien-être et d'équilibre psycho-sexuel et le caractère potentiellement problématique de certaines préférences et comportements sexuels.
Santé mentale et santé sexuelle
S'il est reconnu que santé mentale et santé sexuelle constituent deux composantes distinctes de la santé chez l’être humain, le plus souvent, ces deux dimensions sont intimement liées. En première instance, il semblerait logique d'évaluer la santé mentale d'un individu, laquelle impacte sa sexualité, mais en dehors des cas cliniques avérés de maladies mentales ou de perversions graves, sur quels critères fonder cette évaluation ? En effet, ce qui hier encore était considéré comme une maladie psychiatrique, ou tout au moins comme un désordre ou une déviation sexuelle, est aujourd'hui appréhendé avec nuance et même précaution. Le sadisme, le masochisme, les pratiques de domination/soumission et les différents fétichismes font depuis une vingtaine d'années l'objet d'études destinées à évaluer leur caractère plus ou moins pathologique. Mais alors que l'une de ces études révélait une meilleure santé mentale chez les adeptes du BDSM que chez des personnes ayant une sexualité classique, nous avions apporté un éclairage moins idyllique sur la question des motivations inconscientes à l'origine de ces pulsions. Dédramatiser, déstigmatiser, normaliser les préférences des minorités sexuelles est dans l'air du temps et constitue assurément un progrès vers la connaissance de l'humain. Il nous paraît néanmoins dommageable d'entretenir, par des études quasi-systématiquement favorables, le déni susceptible d'annihiler toute tentative de compréhension des causes sous-jacentes d'une sexualité brutale ou mettant en scène des situations psychologiquement déstabilisantes.
Santé des minorités sexuelles (Sadomasochisme, bdsm, LGBT...)
Sans porter de jugement moral à l'égard de certaines préférences sexuelles atypiques et quand bien même un grand nombre d'individus s'y adonnant seraient-ils jugés mentalement équilibrés, la frontière séparant le pathologique du festif peut parfois s'avérer difficile à tracer. Dans un précédent article, nous avions relevé que dans l'ensemble de la communauté BDSM, une certaine forme scotomisation entourait la question des paraphilies auxquelles s'adonnaient ses membres, dominants ou soumis. L'un des membres ayant participé à une discussion sur les possibles corrélations existant entre pratiques BDSM et antécédents d'abus sexuels reconnaissait :
Nous sommes très nombreux à être dans le déni, à dire j'aime ça, parce que j'aime ça, sans vouloir trop chercher les causes, de peur de trouver des choses forcément dérangeantes. Car causes il y a et elles sont pour la plupart bien enfouies dans notre subconscient. Exemple : les femmes qui ne "se souviennent pas" avoir été violées. Jusqu'au jour où leur agresseur se fait arrêter et là tout leur remonte en pleine figure.
Lors de nos recherches participatives sur des sites dédiés, nous avions effectivement remarqué que la question des antécédents d'abus ou de violences sexuelles, si elle n'était pas ouvertement abordée, était néanmoins omniprésente. Connaissant les effets délétères parfois sournois de tels traumatismes sur le psychisme, comment déterminer avec certitude l'origine de l'attirance d'un individu pour une sexualité libérant des pulsions potentiellement destructrices ? Pourtant, certains psychanalystes comme Racamier et Kestimberg lui reconnaissent un rôle contre-dépressif, voire en font un outil de guérison dans certains cas de psychose. L'approche de la question de la santé sexuelle chez les personnes pratiquant le sadomasochisme ou le BDSM est d'une grande complexité, c'est pourquoi nous émettons quelques réserves quant aux études destinées à déterminer l'état de santé mentale des personnes s'y adonnant, attendu qu'elles ne sont basées que sur les déclarations des participants et non sur des examens psychologiques approfondis.
Alors pouvons-nous décréter que dans la mesure où ne sont convoquées ni la notion de contrainte, ni celle d'atteinte à l'intégrité physique et mentale d'autrui, toutes les pratiques érotiques hors norme doivent être considérées comme des composantes d'une bonne santé sexuelle ? Peut-être que oui, ou peut-être que non...
Selon le manuel MSD(2), le masochisme sexuel est la participation intentionnelle à une activité dans laquelle la personne est humiliée, frappée, liée ou fait l'objet d'autres types d'abus pour qu'elle obtienne une excitation sexuelle. Le trouble de masochisme sexuel est un masochisme sexuel qui provoque une détresse importante ou compromet le fonctionnement de façon significative. Considéré comme une forme de paraphilie, le sadomasochisme ne devient pathologique que dans la mesure où les comportements, fantasmes, ou désirs intenses entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération fonctionnelle. Mais comment évaluer des souffrances cliniquement significatives sinon par le biais d'un examen clinique ? De même, comment diagnostiquer des troubles psychotraumatiques complexes, lesquels passent souvent inaperçus, y-compris parfois aux yeux des psychiatres, et qui affectent la capacité de régulation des affects ainsi que la structuration narcissique et identitaire de la personnalité, sinon à la faveur d'une démarche personnelle, laquelle n'est possible que dans la mesure où l'individu a pris conscience de l'existence d'un problème ?
S'agissant des personnes se définissant comme lesbiennes, gays, bisexuelles, bispirituelles ou transgenres, leur santé fait l'objet de préoccupations importantes et d'études spécifiques. Plusieurs recherches menées depuis la fin des années 1970 ont révélé un nombre important de cas d'anxiété, de dépression, d'idéations suicidaires et de tentatives de suicide parmi les LGBT. Ces recherches ont également fait état d'un tabagisme, d'une consommation d'alcool et de drogue importants. D'autres facteurs liés à la stigmatisation et l'homophobie peuvent aussi influer sur l'acceptation de soi et la santé mentale des minorités sexuelles. En effet, une enquête sur la santé des collectivités au Canada a fait état d'un niveau de troubles de l'humeur ou de troubles anxieux supérieurs à ceux de la population hétérosexuelle(3).
D'autre part, rappelons que certaines pratiques sexuelles hors norme, entraînent une prise de risque sanitaire significative (MST, VIH, hépatite B...).
Dans la mesure où les précautions d'usage sont prises pour circonscrire tout risque de blessures graves et de contraction de maladies sexuellement transmissibles, que l'épanouissement personnel, sexuel, familial et social de l'individu peut être mis en relation avec la pratique d'une sexualité hors norme, alors il semble qu'il soit possible de parler d'une bonne santé sexuelle, sous réserve d'éventuels dysfonctionnements physiologiques ou psychologiques non diagnostiqués.
1 - Célèbre citation de René Leriche, Médecin, chirurgien et physiologiste qui fut l'un des premiers à s'intéresser à la douleur. René Leriche est l'auteur de l'ouvrage Souvenir de ma vie morte (1936) d'où est tirée la citation "La santé est la vie dans le silence des organes", un aphorisme souvent mal interprété. En effet, Leriche sait que le silence des organes ne signifie pas l'absence de maladie. Cette définition est bien celle du malade, et non celle du médecin.
2 - Le MSD est un manuel publié pour la première fois en 1899 sous forme de petit livre de référence pour les médecins et les pharmaciens. Le Manuel s’est développé et a élargi sa portée pour devenir l’une des ressources médicales complètes les plus largement utilisées par les professionnels et le grand public.
3 - Tjepkema M. Utilisation des services de santé par les gais, les lesbiennes et les bisexuels au Canada. Rapports sur la santé au catalogue de Statistique Canada 2008.
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