Témoignage : la vie d'après, le couple intime face au cancer
Diplômé de l'Institut de Sexologie du docteur Jacques Waynberg, Eric Royer répond aux questions des abonnés.es.

Se réinventer après une prostatectomie radicale
Annie, 58 ans, artiste peintre
J’ai 58 ans, je suis mariée à un homme de mon âge depuis six ans et en couple depuis treize. Nous avions jusqu’à présent une vie sexuelle plus que satisfaisante, mais il y a un peu moins de deux ans mon mari a déclaré un cancer de la prostate. Il a subi une prostatectomie radicale il y a 18 mois et prend un traitement pour faire chuter son taux de testostérone. Aujourd’hui il est toujours dans l’impossibilité d’avoir une érection complète. J’ai beaucoup d’empathie et j’essaie de ne pas en faire un problème, mais j’ai l’impression de faire le deuil de ma sexualité, que je ne ferai plus jamais l’amour avec un homme. J’ai tenté de lui expliquer que l’intimité sexuelle n’était pas qu’une histoire de pénétration, mais pour lui la sexualité le renvoie à ce qu’il ne peut plus faire. Hormis quelques baisers fraternels et des câlins tendresse sous la couette, il ne se passe plus rien de physique. Je ne veux pas me séparer de lui parce que je l’aime toujours. Nous voyons depuis quelques mois une thérapeute et je me suis risquée à évoquer l’idée de prendre un amant juste pour le sexe. Alors que nous avons toujours communiqué avec beaucoup de liberté, il s’est brusquement fermé et refuse maintenant de parler de notre sexualité de couple. Je ne sais pas comment me sortir de ce foutoir. Qu’en dites-vous ?
Ce que j’en pense
La majorité des couples ayant passé la cinquantaine se confrontent à l'épreuve du cancer. Dans ce temps de hautes perturbations émotionnelles, de voile posé sur l’avenir, la mort est redoutée au même titre que la vie d’après. Parce qu’on ne sort rarement parfaitement indemne de l’attaque d’un cancer, souvent le partenaire guéri n’est plus tout à fait celui qu’il a été. Une autre vie qui se présente au couple, qu’il faut aménager, revoir, repenser parfois de fond en comble. Ce qui était n’est plus et ce d’autant que la thérapie aura laissé des séquelles corporelles. C’est ainsi que la mastectomie ampute la féminité comme la prostatectomie ampute la masculinité. Sur les plans organique, fonctionnel et symbolique, les opérés.es ne sont plus les femmes et les hommes d’avant l’intervention chirurgicale.
Votre mari a probablement subi une prostatectomie radicale ayant endommagé les bandelettes neurovasculaires collées à la prostate et provoqué l’installation durable de troubles érectiles. L’hormonothérapie, qui abaisse le taux de testostérone, rajoute à la difficulté en inhibant sa libido pulsionnelle. Par ailleurs, la représentation de la masculinité acceptée, validée, par le corps social, centrée sur la puissance pénienne lui renvoie l’image insupportable de sa personne dégradée. Enfin, on ne pas passer sous silence le cancer et ce qu'il porte de dynamique anxiogène. Dans ces conditions on comprend qu’il n’ait pas plus l’envie que la possibilité de répondre à vos sollicitations.
Si vous avez pris la bonne décision en vous engageant dans un processus thérapeutique, je n’approuve pas l’idée de l’amant de remplacement. Votre mari est en souffrance, sans doute flirte-t-il avec la dépression. Ce qui, au moins pour partie, le faisait homme n’a plus de réalité, il doit faire un trait sur son identité érotique et s’en réinventer une autre, en quelque sorte dévirilisée. De fait votre proposition de compenser sa "démission" par une relation extraconjugale avec un homme que l’on peut supposer au mieux de ses capacités érectiles, a pu, à tort ou à raison, le conforter dans l'idée que l'érection qu'il ne peut vous offrir vous est indispensable.
Ce qui est rassurant est que persiste chez votre époux l’envie de vous câliner, d’être à votre contact physique, chez vous la volonté d’aller de l’avant avec lui, et chez vous deux l'ambition de trouver des solutions, de regoûter aux joies de la sexualité érogène. Comprenez que ce qui est vécu, à juste titre, comme un drame est paradoxalement l’occasion offerte d’expérimenter des pratiques érotiques où le pénis ne joue qu’un rôle subalterne. Vous avez suggéré cette perspective, vous avez eu raison, car elle est la seule à même de vous rendre votre mari-amant. Soyez patiente, attentionnée, diplomate, en ayant conscience qu’il n’y pas de panacée, que réinvestir une vie érotique et sensuelle après une opération de la prostate reste un défi.
Au-delà des problématiques sexuelles votre témoignage invite à réfléchir sur le vieillissement du couple dans une société où les séniors sont soumis aux mêmes injonctions "d'activités sexuelles" que leurs cadets. Vous dîtes j’ai l’impression de faire le deuil de ma sexualité, je vous répondrai que c’est de cela dont il va être question à un moment ou un autre. C'est une réalité du vieillissement, la sexualité érogène perd en fréquence, les rendez-vous coquins se raréfient jusqu'à leur complète disparition. La désexualisation de la relation de couple est une donnée naturelle, ce n'est pas une tare, cela fait partie du vieillir ensemble. On trouvera toujours des exceptions à la règle, mais dans l'ensemble les couples à l'aube de la soixantaine entament leur transition affective, l'attachement se substitue à l'amour romantique, la priorité est cédée à l'attention et au soin portés à l'autre, l'asexualité se profile. Je comprends que pour vous l'occurence soit injuste, que la perspective d'un deuil prématuré de votre vie érotique vous soit intolérable. Je suppose qu'il en est de même pour votre mari. Gardez confiance, je ne doute pas que l’amour, l’affection, que vous vous portez, permettront votre épanouissement dans une nouvelle vie... qu’elle soit traversée d’émotions érotiques ou définitivement chaste.
Les réflexions proposées s’établissent sur les faits que vous rapportez. Pour poser un diagnostic il est indispensable d'avoir la vision la plus holistique possible de votre situation et la consultation en couple est la seule option envisageable.
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