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Troubles du désir hypoactif, réponse sexuelle féminine et "modèle circulaire de Basson"

Troubles du désir hypoactif, réponse sexuelle féminine et "modèle circulaire de Basson"

La prépondérance de la faiblesse du désir dans la pathologie sexuelle s’est imposée dans les sociétés occidentalisées parallèlement à l’affirmation de la norme culturelle qui intime aux couples d’avoir des relations sexuelles et d’en jouir.

Troubles du désir hypoactif, réponse sexuelle féminine et

Désir féminin : quand le trouble gagne les sexologues.

En postulant que le modèle classique de la réponse sexuelle n'est pas en phase avec une représentation précise de la sexualité féminine du plaisir, spécialement pour les femmes engagées dans des relations sur le long terme, la psychiatre canadienne Rosemary Basson remettait en question, à la fin des années 90, les travaux de trois figures de proue de la sexologie américaine : Masters-Johnson et Kaplan. Pour Basson s'imposait la nécessité de proposer un modèle plus adapté à la compréhension de la psychologie sexuelle féminine afin d'améliorer la prise en charge des dysfonctions sexuelles sur les plans comportemental, psychologique et pharmacologique. Au centre de sa démarche, la question de la perte de désir devenue, pour les femmes, le principal motif de consultation sexologique. 

Au début des années 70 Helen Singer Kaplan, psychologue, médecin et sexothérapeute, introduisait un nouveau modèle de la réponse sexuelle humaine (ensemble des réactions physiologiques et psychologiques féminines et masculines constituant un cycle sexuel complet). Reprenant celui biphasé de Masters et Johnson, excitation-plateau/orgasme-résolution, elle introduisait le concept de désir pour établir un modèle triphasé, désir-excitation-orgasme, plus apte à rendre compte de la sexualité féminine et en comprendre les dysfonctions. Dès les années 80, la notion de trouble du désir sexuel va devenir un élément majeur de la réflexion sexologique et depuis une vingtaine d’années une large part de la recherche sur la sexualité féminine et ses problématiques s’y focalise. 

La prépondérance de la faiblesse du désir dans la pathologie sexuelle s’est imposée dans les sociétés occidentalisées parallèlement à l’affirmation de la norme culturelle qui intime aux couples d’avoir des relations sexuelles et d’en jouir. Conséquemment l’orgasme et le désir sont aujourd’hui les indicateurs couramment utilisés pour déterminer la qualité de la sexualité du plaisir dans le couple, l’absence de l’un ou l’autre se traduisant par des diagnostics de dysfonction sexuelle. Vers la fin des années 70, les variations à la baisse du désir vont acquérir dans le DSM la qualification de « troubles psychosexuels » puis quelques années plus tard celle de « troubles du désir hypoactif ». La disparition du préfixe psycho n’est pas anodine, elle symbolise la perte d’influence de la psychanalyse sur la psychiatrie américaine ainsi que la mise entre parenthèses (définitive ?) de la nature psychologique de la sexualité du plaisir et la promotion de son ancrage dans une réalité purement biologique. 

Les troubles du désir : les évolutions du DSM.

On doit l’introduction de la notion de « troubles du désir » dans la nosologie sexologique à Harold Isaiah Lief (psychiatre) et Helen Singer Kaplan qui, en tant que membres de l’Association américaine de psychiatrie, ont œuvré pour l’inclusion dans le troisième opus du DSM de cette nouvelle catégorie diagnostique. À l’origine, celle-ci n’est pas associée à un sexe, une neutralité essentiellement due au fait que les rédacteurs du DSM s’appuient encore sur le modèle de Masters et Johnson : une schématisation de la réponse sexuelle faisant sommairement référence au désir, vu comme une phase préliminaire mobilisant l’esprit plus que le corps que ce soit pour les femmes ou les hommes. Helen Kaplan adoptera cette position unisexe affirmant que « le désir est un appétit dont le cerveau est le siège », mais ses successeurs renonceront à cette neutralité et dans l’actuel DSM 5 les troubles du désir hypoactif sont scindés en deux catégories très différenciées, féminine ou masculine. Versant masculin, le trouble du désir se définit toujours par une « déficience (ou absence) persistante ou répétée de pensées d’ordre sexuel/érotique ou de fantasmes et du désir d’activité sexuelle. », alors que versant féminin il est maintenant présenté en six points :

  • Absence ou réduction de l’intérêt/de l’excitation pour l’activité sexuelle ;
  • Absence ou réduction de pensées ou de fantasmes sexuels/érotiques ;
  • Absence ou réduction d’initiation de l’activité sexuelle et notamment non réceptivité aux tentatives d’initier une activité sexuelle de la part d’un ou d’une partenaire ;
  • Absence ou réduction d’excitation ou de plaisir sexuel pendant l’activité sexuelle dans presque toutes ou dans toutes les rencontres sexuelles ;
  • Absence ou réduction d’intérêt ou d’excitation sexuelle en réponse à des signaux sexuels/érotiques internes ou externes ;
  • Absence ou réduction de sensations génitales ou non génitales pendant l’activité sexuelle dans presque toutes ou dans toutes les rencontres sexuelles.

Dans le DSM 5, le trouble du désir féminin hypoactif a été spécifié, segmenté et renommé« trouble de l’intérêt ou de l’excitation ». La disparition de la notion de désir, l’introduction de celles d’initiation, d’intérêt ou d’excitation, et l’abandon de toute référence explicite à un modèle de réponse sexuelle, témoignent de l’enracinement d’une pensée sexologique qui prend ses distances avec les théoriciens des années 60-70. Selon Marilène Vuille (docteure en sciences de la société et historienne de la médecine), la scission de la fonction sexuelle entre initiation et activité sexuelle est pour partie la résultante de l’influence de la neurobiologie comportementale, laquelle sépare les activités sexuelles en deux phases, « appétitive » et « consommatoire », supposées caractériser les comportements sexuels avant et pendant la copulation. Par ailleurs, le rejet du modèle de la réponse sexuelle, version Masters-Johnson ou Kaplan, s’est alimenté des argumentaires des sexologues féministes critiques à l’égard de la modélisation linéaire et épicène de la sexualité ainsi qu’au rôle du désir dans l’expérience sexuelle féminine. 

La publication du DSM 5 en 2013 a donc sanctionné le leadership d’une nouvelle approche sexologique des problématiques sexuelles féminines, en grande partie promue par les recherches et publications de Beverly Whipple, Alice Kahn Ladas, John Perry et Rosemary Basson. Si les trois premiers ont gagné leur notoriété suite à l’édition en 1982 d’un best-seller sur le point G, la dernière s’est distinguée en optant pour un autre regard sur les dysfonctions de la sexualité féminine du plaisir. Sous l’acronyme « FSD », Female Sexual Dysfonction, Basson regroupera les troubles du désir et de l’excitation, l’anorgasmie, la dyspareunie et le vaginisme. Par ce travail nosologique elle contribuera à coédifier les problèmes et la nature des réponses, notamment médicamenteuses, qu’il convient d’y apporter. 

Le modèle circulaire de Basson.

Définie comme psycho-sociale sa conception mulitcausale, multidimensionnelle, des problématiques sexuelles féminines, souhaite combiner les déterminants biologiques, psychologiques et interpersonnels. Si sous cet angle elle résonne avec la « sexologie globale » d’Helen Kaplan, elle s’en éloigne sur le plan de la modélisation de la réponse sexuelle. Contestant le schéma des phases successives, désir-excitation-orgasme, Rosemary Basson proposera une autre vision de la réponse sexuelle, circulaire et non linéaire, qui prendra l’appellation de « modèle circulaire de Basson ».


Une des représentations du modèle circulaire de la réponse sexuelle.

Selon les termes de la psychiatre « lorsqu’une femme perçoit une occasion potentielle d’être sexuelle avec sa/son partenaire, il se peut qu’elle n’ait pas besoin de ressentir l’excitation ou d’atteindre l’orgasme pour son propre bien-être sexuel et qu’elle n’en soit pas moins motivée à faire délibérément tout le nécessaire pour faciliter l’interaction sexuelle dont elle attend des profits potentiels qui, sans être strictement sexuels, sont très importants. Une proximité émotionnelle accrue, la création de liens affectifs, l’implication relationnelle, la tolérance aux imperfections de l’autre et le souhait d’accroître le bien-être du partenaire servent de facteurs motivationnels des plus valables pour activer le cycle. La femme part d’un état de neutralité sexuelle, passe par une ouverture d’esprit ou une bonne volonté à être réceptive aux stimuli, pour aller vers un certain degré de plaisir sexuel et d’excitation. S’ensuit une sorte de désir sexuel pour continuer l’expérience. Par la suite elle peut ressentir une excitation plus grande et peut-être un soulagement orgasmique. Si l’aspect émotionnel de l’interaction de même que son aspect physique sont positifs, l’intimité est améliorée et le cycle renforcé. Cela contraste avec le « cycle de la réponse sexuelle humaine » de Masters-Johnson et Kaplan, qui dépeint le désir sexuel comme une force spontanée qui elle-même déclenche l’excitation sexuelle. » (traduction Marilène Vuille). Dans le modèle de Basson le désir spontané (pulsions, pensées, rêves et fantasmes sexuelles) n’est plus considéré comme l’étape qui précède obligatoirement l’excitation sexuelle féminine et les trois éléments de la réponse sexuelle (désir, excitation, orgasme) sont intégrés dans un flux circulaire.

Si Basson reconnait que Masters-Johnson et Kaplan ont établi des systèmes en phase avec la réponse sexuelle féminine dans les premiers temps de la relation amoureuse, elle affirme qu’ils perdent de leur pertinence à moyen et long terme. S’appuyant sur ses observations cliniques, elle conjecture que pour passer de l’état de neutralité sexuelle à celui d’excitation, un grand nombre de femmes ont recours à un désir réactif en lien avec des « bénéfices » et « récompenses » non sexuels, tels que le plaisir du partenaire ou l’opportunité de consolider la relation amoureuse. Elle détermine ainsi que ces femmes s’engagent dans une interaction sexuelle sans désir spontané dont elle croit qu’il est « une raison ou une incitation inhabituelle pour initier ou accepter l’activité sexuelle ».

D’une manière générale, après une ou plusieurs années d’union la force motivationnelle permettant aux femmes de capitaliser sur la capacité à répondre aux signaux sexuels se lierait au désir d’augmenter l’intimité émotionnelle avec leur partenaire. Pour nuancer le propos elle pointe que l’absence de désir spontané n’est pas forcément le marqueur d’une dégradation de la sexualité du plaisir, que de nombreuses femmes sexuellement épanouies sont dans ce cas et que la volupté, l’orgasme ne sont pas conditionnés par la nature du désir. Toutefois, quelle que soit l’origine du désir, Rosemary Basson souligne que les gratifications sexuelles s’imposent comme des facteurs motivationnels essentiels pour entretenir le cercle vertueux de la dynamique sexuelle du plaisir. En d’autres termes, si les femmes arrivent à provoquer leur désir dans la perspective de renforcer les attaches amoureuses, les empreintes mnésiques du déplaisir sexuel auront un potentiel suffisamment délétère pour les détourner des relations intimes. Sur ce point, Rosemary Basson note que le modèle de la réponse sexuelle, version Masters-Johnson ou Kaplan, ignorent les composants essentiels de la satisfaction sexuelle féminine : confiance, intimité, possibilité de lâcher prise, respect, communication, affection et sensualité et qu’en conséquence il perturbe la compréhension des dysfonctions de la sexualité du plaisir féminin. Il n’en fallait pas plus pour conclure que Masters-Johnson et Kaplan avaient en définitive construit une représentation « masculinisée » de la réponse sexuelle.

Dans la deuxième partie de cet article nous évoquerons les critiques du "modèle circulaire de Basson" et l'abandon d'une sexologie d'écosystème pour une sexologie médicale. 

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