Adèle Haenel : sois belle et tais-toi !
Révéler au grand public les dessous peu glorieux, peu ragoûtants, de l’industrie du divertissement est incontestablement un crime de lèse-majesté.

Parole de femme
L’actrice Adèle Haenel, victime des comportements pédolibidineux du réalisateur Christophe Ruggia, vient d’annoncer dans une lettre à Télérama l’arrêt de sa carrière cinématographique. Fustigeant la complaisance généralisée du monde du cinéma vis-à-vis des agresseurs sexuels, elle tire sa révérence. Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste bon chic bon genre, s’interroge, avec toute la gravité qui sied à son pédigrée, au sujet de la comédienne : « Doit-on la prendre au sérieux ? ». La philosophe l’affirme, Adèle Haenel confond notoriété et légitimité politique. Et alors, dira-t-on, où est le problème ? Et mieux, en quoi les deux notions seraient-elles incompatibles ? Car finalement n’est-il pas aujourd’hui meilleur moyen pour faire passer des messages que de profiter de sa notoriété ? On imaginera sans peine le peu d’impact qu’aurait eu l’annonce d’une caissière de supermarché, harcelée par son supérieur, de renoncer à sa carrière. Gageons qu’elle n’aurait pas eu droit au moindre entrefilet même dans le plus quelconque des quotidiens locaux. Il en est ainsi de l’époque moderne où ne sont écouté.es, entendu.es, que les personnalités médiatiques.
Dans le show-biz, il n’est pas séant de cracher dans la soupe. Adèle Haenel en fait les frais, Blanche Gardin aussi. Révéler au grand public les dessous peu glorieux, peu ragoûtants, de l’industrie du divertissement est incontestablement un crime de lèse-majesté. Le linge sale, ça se lave en famille, et encore. L’omerta règne derrière les sourires de façades. Sous les tapis rouges des festivals se cachent des histoires nauséabondes. C’est un fait connu de tous et toutes, la carrière des jeunes actrices se joue à l’aulne de leur complaisance, de leur silence, face aux mains baladeuses, propos graveleux, remarques sexistes et atteintes à leur intimité. Mais la gloire, ça se mérite. Le succès et la vie rêvée des stars suggèrent quelques arrangements avec l’amour-propre.
Dans un milieu empreint d’une culture de la sujétion sexuelle des actrices à l’égard des faiseurs de carrière, l’agression sexuelle en irait presque de l’initiation obligée. Difficile de s’y dérober. Il faut faire avec ou renoncer à l’espoir d’être intronisée. Jusqu’à peu, les sales types bénéficiaient de la protection d’une profession évoluant en vase clos. Le mouvement # MeeToo les a mis sur la sellette et a montré la noirceur des coulisses de leur renommée. Et s’il persiste encore des « âmes charitables » pour séparer l’œuvre de son créateur, soyons clair : un sale type restera toujours un sale type. Il n’y a pas de négociation possible.
Alors oui on ne peut que soutenir la démarche d’Adèle Haenel, son engagement qui, n’en déplaise à Sabine Prokhoris, est éminemment politique. Parce que la politique, au sens plein du terme, c’est l’action, la prise de position, l’implication dans le processus de formation, de transformation positive de nos sociétés. En cela, si la déconstruction des modèles toxiques est de la responsabilité de toutes et tous, reconnaissons que la médiatisation des discours salvateurs repose sur la notoriété de celles et ceux qui les portent.
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