Construire sa propre subjectivité émotionnelle, être authentique
La voie de l’épanouissement émotionnel se dessine de façon singulière. Elle se découvre à celles et ceux qui décident de leur vie en renonçant à se conformer à des règles de jeu préétablies, qui ont clarifié leur rapport à soi et construit leur propre subjectivité.

Se mettre au monde de façon singulière
C’est un donné naturel, nous sommes des êtres relationnels, typiquement grégaires. Ce particularisme anthropologique nous incite à rechercher la compagnie des autres, à nous insérer dans un groupe, à nous socialiser et de facto à suivre docilement les impulsions dudit groupe pour ne pas en être exclu.es. Ainsi nous renonçons, sans volonté délibérée ni en prendre conscience, à nous constituer comme singularité au profit d’une dissolution de notre moi dans une communauté fusionnelle qui, pour rassurante qu’elle soit, absorbe les individualités pour en faire un tout organique qui œuvre à la destruction de toutes formes de subjectivité émotionnelle. L’époque contemporaine est particulièrement productrice de ces communautés fusionnelles, de ces rassemblements s’opérant sous l’égide de totems extrêmement exigeants en matière d’inclusion/exclusion. Tant et si bien que la société d’aujourd’hui tend à devenir un agglomérat de microsociétés totalitaires dans lesquelles les individus sont soumis à un déterminisme sociocomportemental qui annihile leur liberté à se construire une identité authentique. Dans un contexte qui requiert l’uniformisation de la pensée, de l’agir, du devenir, comment pourrait-on révéler notre moi, s’affirmer comme la résultante d’une histoire unique ? Mais plus que le renoncement à l’authenticité du moi, ces communautés fusionnelles imposent à leurs membres d’endosser une fausse identité, à défaut de quoi pointe le couperet de l’ostracisation. En découle la contrainte de faire vivre une imposture de soi-même, de devenir l’esclave d’un faux-semblant. Cette servitude de la fausse identité est éminemment contreproductive dans la perspective de l’épanouissement personnel et plus encore dans celle de la pleine réalisation du projet de couple.
C’est dans une dynamique interindividuelle que nous pouvons entrevoir un horizon de sens et répondre au défi de l’existence du couple en tant qu’espace de réalisation et d’épanouissement de chacune de ses parties. Pour cela, il est nécessaire d’agir et penser comme des individualités émancipées de toute servitude, des individualités libres de trouver un accord avec elles-mêmes. La question est donc de savoir ce qui nous distingue d’autrui, ce qui est en mesure de nous différencier d’un monde impersonnel, d’un monde qui est à destination de tout un chacun. Pour ce faire, on suggérera de passer en revue les motivations, les émotions qui se cachent derrière nos façons d’être. Sont-elles sincères, sont-elles authentiques ? Nous pouvons, à titre d’exemple, interroger l’influence qu’a l’entourage sur nos prises de position, notre façon de nous habiller, la musique que nous écoutons, les projets que nous élaborons, etc.
Quoiqu’il en soit, nous devons nous en convaincre : il est possible de quitter un monde impersonnel pour investir un monde qui correspond à nos desseins vrais, si nous acceptons de nous convertir à l’authenticité, de refuser l’adhésion à des modes de vie qui émanent de tiers totémiques. Être authentique et volontaire quant à la construction de son propre univers, c’est avoir ni dieu ni maître. Cependant, force est de le confesser, la conversion à l’authenticité emprunte un chemin de haute montagne qui ne ménage pas celle ou celui qui y consent, un chemin parsemé de doutes et de défaillances. Mais l’effort engagé pour le gravir jusqu’à son terme garantit la mise au monde de notre personnalité singulière et par la même l’obtention du sésame d’entrée dans la sphère des autres singularités. Ce n’est que ce faisant qu’il devient envisageable de se voir révéler celle ou celui avec laquelle, avec lequel, s’établira une relation sincère, saine, épanouissante, pérenne et pourvoyeuse d’émotions partagées. Et ce qui est vrai sur le plan général de la relation l’est à fortiori dans le domaine de l’intime érogène.
Dans une époque où la réussite du projet conjugal se mesure aussi à l’aulne de l’accomplissement érotique, nombre de couples se fourvoient dans des expérimentations censées leur ouvrir grand les portes du nirvana émotionnel. Car la modélisation de la vie érotique, quelles qu’en soient les caractéristiques, assignée à l’ambition d’un mieux jouir, est tout aussi séduisante que trompeuse. Le mimétisme gestuel, comportemental, psychorelationnel est sans aucun doute une voie sans issue. En conséquence : des déconvenues érotiques qui s’ancrent dans l’adoption de schémas érogènes irréalistes, autrement dit de schémas qui n’ont aucune résonance harmonique avec le moi singulier de l’un.e ou des deux partenaires. Le recours à ces modèles érogènes impersonnels conduit le couple à l’inexorable expérience de l’aridité émotionnelle, de l’insatisfaction et in fine au dégout. Les récompenses promises par les prosélytes de la jouissance grand public sont des mirages après lesquels les partenaires vont courir jusqu’à épuisement de leurs ressources psychiques.
Les jouissances du corps et de l’esprit, tel qu’entendu dans une conception des rapports intimes sublimés, se nourrissent de la rencontre originale entre le désir actif de chacun des partenaires. Le désir actif est un concept utilisé en écosexologie pour désigner l’impulsion émotionnelle qui mobilise l’individu ayant pris conscience de sa réalité de sujet désirant. À contrario, le désir passif nomme l’impulsion émotionnelle mobilisant l’individu qui, ayant intégré un modèle érogène exogène, a étouffé sa réalité de sujet désirant. Ainsi, dans nombre de couples manifestant une insatisfaction de leur relation intime, la plainte est symptomatique du désir passif de l’un.e ou des deux partenaires.
La voie de l’épanouissement émotionnel se dessine de façon singulière. Elle se découvre à celles et ceux qui décident de leur vie en renonçant à se conformer à des règles de jeu préétablies, qui ont clarifié leur rapport à soi et construit leur propre subjectivité. Toutefois, ce cheminement existentiel, qui doit mener à la découverte de l’authenticité, s’inscrit dans une philosophie de vie qui exonère l’investissement de toute rentabilité immédiate. La quête légitime des émotions voluptueuses et orgastiques ne peut trouver sa résolution réitérée qu’à la condition d’un regard réflexif sur soi-même, d’un examen scrupuleux de la conscience de soi, d’une exigence émotionnelle infaillible.
Crédit illustration : Frantisek Kupka.
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