Drague, #MeToo et la nouvelle donne

Sommes-nous en train de nous réveiller, de sortir d’une longue torpeur qui a donné les coudées franches aux prédateurs sexuels ?
Peut-on espérer que la prise de conscience ne soit pas qu’un éphémère médiatique, que sitôt l’effet de souffle passé nous ne retombions en léthargie ?
La libération sexuelle n’a pas porté les fruits escomptés. Si le sexe avant les années 70 était soumis à une morale rigoriste, le sexe post seventies est devenu l’otage de ceux qui saisirent l’opportunité d’en faire un commerce juteux. Modelé par des individus autant corrompus que cupides, le concept de libéralisation s’est transmué en un plaidoyer pour le droit d’agresser sexuellement les femmes et au final, la libération sexuelle n’a jamais été synonyme de liberté sexuelle. Bien au contraire, l’esclavage sexuel est devenu – merci à tous ceux qui, sous couvert d’ouverture d’esprit, ont fait la promotion de la pornographie – la référence en matière de sexualité. A force de marteler leur discours, les pornographes ont réussi à faire accepter comme naturelle leur vision archaïque, bestiale et absurde des relations intimes. Dans l’univers pornographique, l’homme est un être décérébré, incapable de juguler ses pulsions primaires, obnubilé par sa sacro-sainte éjaculation finale. La femme quant à elle es un être secondaire, un faire-valoir de l’érection, sans autre liberté que celle d’offrir ses orifices à toutes sortes de pénétrations en miaulant à la lune autant que faire se peut. La bêtise sans fond de la pornographie et de ses productions, sa rhétorique qui se complait à naviguer dans les eaux putrides de la bassesse humaine, ses grand-messes commerciales, où de pauvres filles se donnent en spectacle devant des hordes d’abrutis écumant de désir animal, ses cérémonies grotesques de remise des AVN Awards, ne pouvaient conduire qu’à la normalisation de la crétinerie. Laissez un homme pousser dans le terreau de la pornographie et vous en ferez un demeuré sexuel, pensant que toutes les femmes sont des salopes patentées qui disent non mais qui pensent oui et qu'il est drôle de jeter comme des papiers gras après leur avoir copieusement arrosé le visage de sperme. Le problème qu’a la société actuelle avec la pornographie est le même que celui que rencontrent les agriculteurs avec l’ivraie, pas facile de s’en débarrasser lorsqu’on lui a laissé le champ libre.
Nous récoltons donc aujourd’hui ce que nous avons laissé pousser sans vergogne, paresseux que nous étions de travailler la terre de nos relations pour qu’elle donne le meilleur de son essence. La pornographie est devenue un mal endémique qu’il sera bien difficile d’éradiquer avec de simples discours humanistes. Sans une prise de conscience que son influence façonne les rapports homme-femme, elle continuera à produire ses effets délétères. Ne doutons pas un seul instant que les comportements sexuels borderlines, dont les femmes et les enfants sont les premières victimes, en sont les produits dérivés. Eduquer un garçon en lui présentant l’agression sexuelle comme une attitude virile méritant tous les égards de ses paires c’est lui permettre de devenir un agresseur décomplexé. Que les femmes aujourd’hui montent au créneau est la meilleure chose qui puisse arriver et nous devrions les remercier pour leur courage. Rien n’est pire que le silence qui protège les jean-foutre. La parole libérée des femmes nous permet d’ouvrir un débat que les promoteurs de la pornographie auraient aimé ne jamais voir naître.
L’impunité n’est plus de mise et nombre d’hommes sentent le vent mauvais de la vindicte leur chatouiller les parties. Nous comprenons que le désagrément occasionné les incite à convoquer tous les moyens possibles pour assurer leur défense. Nous ne leur reprocherons pas d’avoir recours à la mauvaise foi car cela reviendrait à reprocher à un cochon de se comporter comme un cochon, mais nous opposerons des arguments circonstanciés à toutes leurs tentatives de renversement des rôles.
Le mouvement #MeToo n’est en rien un complot féministe et par ailleurs, ce mot n’a pas le sens péjoratif que la masculinité toxique aimerait lui accoler. Si être féministe c’est défendre les valeurs de respect, de courtoisie et de consentement, alors nous sommes des féministes convaincus et fiers de l’être. Le mouvement #MeToo est une révolte de l’humain contre la déchéance morale qui autorise certains à abuser de leur position dominante pour satisfaire leurs plus vils instincts. Ce combat n’est pas celui des femmes contre les hommes mais celui des défenseurs de valeurs morales contre ceux qui n’en ont plus. Tout aussi fallacieux est le raisonnement qui voudrait faire entendre que les hommes sont tous des victimes potentielles du mouvement #MeToo. Non, nous ne sommes pas tous des goujats et nous sommes encore quelque uns à avoir un peu de savoir vivre, d’intelligence relationnelle et de classe permettant de "draguer" sans offenser, sans harceler, sans agresser.
A ce titre, que dire du droit d’importuner défendu un temps par certaines femmes ? Qui aime être importuné ? Inviterions-nous spontanément dans notre intimité des individus malséants ? Non, c’est une évidence, personne ne souhaite être importuné. Si chaque homme faisait l’effort de se mettre dans la peau d’une femme quelques instants en essayant de percevoir les sensations désagréables que peuvent procurer une main qui s’égare sur vos parties intimes, un regard insistant, des mots obscènes ou autres invectives, alors sans doute le mouvement #MeToo prendrait-il l’ampleur qu’il mérite.
Que les femmes soient obligées d’exprimer ostensiblement leur désapprobation quand elles n’ont pas envie d’une relation est le pendant du manque d’éducation des hommes pressants. Le "non" signifié indique que les limites ont été dépassées et que le dragueur s’est autorisé à forcer le passage malgré les signaux qui, s’il avait reçu l’éducation ad hoc, n’auraient pas manqué de le renseigner sur les dispositions de la dame. Mais il s’avère que même clairement exprimé, un non ne suffise pas à décourager les dragueurs impénitents prêts à prendre de force ce qu’ils n’ont su obtenir par la séduction. Nous répéterions bien encore une fois que "non c’est non" si nous n’étions pas convaincus qu’il faille dépasser cette conception du consentement. Que les femmes puissent être entendues quand elles opposent un "non" clair à des avances est le minimum qu’elles soient en droit d’attendre. Cependant, cette acception du "consentir" encourage les hommes à supposer que tant que la convoitée n’a pas dit non, ils sont en quelque sorte autorisés à la poursuivre de leurs assiduités. Plutôt que d’attendre un non, les hommes devraient chercher le oui enthousiaste et non équivoque. Nous serions donc tentés de croire qu’il faille aller au-delà du "non c’est non". Cette compréhension du consentement par la négative met au final la pression sur la personne la plus vulnérable, pas toujours en capacité d’exprimer son improbation.
Draguer oui mais avec quelques principes de base ! Cela requiert de la part des hommes de mettre la focale sur ce que les femmes pensent et ressentent. Bien sûr c’est un challenge pour ceux qui ont du mal à lire les émotions, à interpréter le langage corporel, ou simplement comprendre qu’une femme peut sourire et rire sans pour autant avoir envie de "baiser". Pour que les choses se passent au mieux, il est à contrario indispensable que les femmes oublient toute réserve dans l’expression de leur désir et l’idée que les hommes liront leurs pensées avec une exactitude totale.
Comme les générations précédentes les féministes actuelles sont accusées de puritanisme et d’exiger tellement des hommes qu’à terme cela oblitérerait toute possibilité de relation sexuelle. Mais une lecture plus objective de leurs revendications permet de dire qu’elles veulent simplement privilégier l’aspect ludique de la sexualité, éviter d’être contrainte et qu’une meilleure qualité de communication est souhaitable. Les femmes de ce nouveau siècle veulent obtenir ce que la révolution sexuelle à fait mine de leur donner : le droit à disposer de leur corps. La liberté de pensée et d’agir qui est la nôtre doit être revue à l’aulne de l’altruisme. Liberté sans conscience n’est que ruine de l’homme, aurait pu dire Rabelais.
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