Excision

En Inde, l’excision demeure une pratique courante dans la communauté musulmane des Bohras.
Bien que le gouvernement indien soutienne qu’aucune donnée ne permet de confirmer l’existence des pratiques d’excision dans le pays, une étude a montré leur prévalence au sein de la communauté musulmane des Bohras. On estime cette communauté à un million et demi d’individus dispersés dans plusieurs pays mais majoritairement concentrés en Inde. Les musulmans Bohras, qui forment un sous-groupe du rameau ismaélien, un des rameaux majeurs du chiisme, sont les seuls à pratiquer l’excision qui en aucun cas n’est une prescription de l’islam.
Rappelons que l’excision qui consiste généralement dans l’ablation du capuchon clitoridien, voire du clitoris externe dans son intégralité, peut aussi s’accompagner, dans ses formes les plus sévères, de l’ablation des petites lèvres et de la suture des grandes lèvres. Dans tous les cas, l’excision doit être considérée comme une mutilation génitale et il est aujourd’hui impossible de ne pas s’élever contre une tradition qui ampute les femmes d’une partie de leur anatomie et de leur plaisir sexuel. Si l'argument culturel est brandi par les partisans de ce rite millénaire comme l'étendard de la lutte contre la mondialisation, il ne saurait être retenu pour justifier un acte aussi barbare qu’injuste.
L’enquête menée par un groupement de femmes Bohras militant contre les mutilations génitales féminines, assistées par trois chercheurs indépendants, s’est appuyée sur les témoignages de 83 femmes et 11 hommes vivant dans cinq états indiens, Gujarat, Kerala, Rajasthan, Maharashtra et Madhya Pradesh. Il en ressort que 75% des interrogés ont reconnu avoir soumis leur(s) fille(s) à cette pratique.
L’excision peut prendre quatre formes différentes que l’OMS définie comme suit :
- Type 1 : Ablation partielle ou totale du clitoris et/ou du prépuce (clitoridectomie).
- Type 1a : ablation du prépuce uniquement.
- Type 1b : ablation du clitoris et du prépuce.
- Type 2 : Ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres.
- Type 2a : ablation des petites lèvres uniquement.
- Type 2b : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres.
- Type 2c : ablation partielle ou totale du clitoris, des petites lèvres et des grandes lèvres.
- Type 3 : Rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation partielle et l’accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris (infibulation).
- Type 3a : ablation partielle et accolement des petites lèvres.
- Type 3b : ablation partielle et accolement des grandes lèvres.
- Type 4 : Toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques, telles que la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation.
Il convient également de noter qu’en français, le terme excision est fréquemment utilisé comme un terme générique recouvrant tous les types de mutilations sexuelles féminines.
Dans le cas présent, les excisions pratiquées par la communauté musulmane des Bohras sont toutes de type 1, suppression partielle ou totale du clitoris. Les conséquences de cette coutume mutilatoire, on s’en doute, sont importantes : sensations d’irritation permanentes, inconfort lors de la marche, douleur lors de la miction, infections urinaires récurrentes, incontinence, impossibilité de ressentir un quelconque plaisir sexuel ou encore perte de sensibilité totale de la zone "opérée". Les dommages psychologiques sont aussi nombreux : sentiment de peur et de honte, anxiété, dépression et perte de l’estime de soi.
L’Unicef estime que 200 millions de femmes vivant aujourd’hui ont subi ces mutilations génitales rituelles et que 30 millions seront excisées dans la prochaine décennie.
Si les MGF (Mutilations Génitales Féminines) semblent avoir fait l’objet d’un inventaire méthodique dans le monde entier, il est notoire qu'en Inde l’excision est pratiquée dans la plus grande discrétion, ce qui complique la tâche des enquêteurs.
Lakshimi Anantnarayan, une des chercheuses qui ont mené l’investigation, espère que le gouvernement indien légiférera rapidement pour que les MGF passent dans le champ de l’illégalité. Sans vouloir être pessimiste, il nous faut admettre que la route du changement sera longue, semée d'embûches et que les mutilations génitales féminines ne seront pas de sitôt à ranger au rayon des mauvais souvenirs. Suite à une pétition adressée à la cour suprême visant la mise au ban de l’excision, le ministère indien de la femme et du développement de l'enfance a répondu en décembre dernier qu’aucune donnée ne pouvait confirmer l’existence d’une telle pratique en Inde. On ne s’étonnera pas de cette prise de position qui s’inscrit dans une volonté politique de minimiser les violences faites aux femmes. En 2016 la ministre Maneka Gandhi avait accusé les médias de trop en faire dans le traitement des agressions sexuelles, affirmant que l’Inde faisait partie des quatre pays les plus sûrs pour les femmes, alors que la péninsule était secouée par plusieurs affaires de viols collectifs et que les agressions sexuelles se multipliaient un peu partout sur le territoire.
Masooma Ranalvi, à l’origine et leader de WeSpeakout, groupement international de femmes luttant contre les MGF, aimerait que les autorités indiennes sortent de leur logique de déni et reconsidèrent leur position.
En 2015, WeSpeakout a enregistré un succès certain après que la justice australienne ait condamné trois Bohras pour des actes de mutilations génitales et que les congrégations hébergées dans des pays où la loi interdit toutes les MGF aient donné instruction à leurs fidèles de ne plus pratiquer le khafd, nom arabe de l’excision. Cependant en Inde, les syednas, dignitaires religieux Bohras, continuent d'encourager leurs adeptes à perpétuer la tradition de la circoncision et de l’excision pour satisfaire aux obligations religieuses de purification. Le khafd n’apparait pas dans le Coran mais certains textes Bohras font mention du "haram ki boti", littéralement "morceau de chair immoral". Qu’ils suivent de façon aveugle leurs leaders ou qu’ils aient peur d’être ostracisés par la communauté, les fidèles ne marquent aucune volonté de désobéissance comme le souligne Irfan A Engineer, le vice-président du comité central des Dawoodi Bohras, sous-groupe réformiste des Bohras qui s’oppose au leadership des syednas depuis quelques décennies.
Toutefois ces réformistes qui ne remettent pas en cause les principes religieux, n’ont pas officiellement pris parti en faveur de la campagne anti-MGF et ce n’est qu’en catimini que certaines femmes Dawoodi Bohras disent ne pas vouloir exciser leurs filles. "Cette pratique inhumaine a cours depuis des siècles mais l’idéologie qui sous-tend cette tradition a bien pour objectif de contrôler le comportement des femmes. C’est pourquoi les hommes doivent soutenir leur combat", professe Engineer.
Un petit groupe de Bohras, qui a créé un site défendant le droit de pratiquer l’excision en arguant de la liberté de culte, s’est dernièrement invité dans le débat.
Celui-ci s’est focalisé autour du premier procès fédéral opposant l’Administration américaine et trois représentants de la communauté Bohra, deux médecins et une femme, accusés d’avoir procédé à des excisions sur deux fillettes de sept ans. Comme souvent dans ce genre d’affaires, les avocats de la défense ont tenté de centrer la controverse sur la notion de liberté de culte et de faire passer les trois agresseurs pour des victimes persécutées par une société qui ne comprend pas leur religion et ne sait pas interpréter justement leurs pratiques rituelles.
Que les états démocratiques prennent leurs responsabilités en interdisant toute procédure chirurgicale sur les parties intimes des enfants ou toute autre pouvant avoir des effets délétères sur leur vie d’adulte, semble être le minimum que l’on soit en droit d’attendre. Aucune règle religieuse ne devrait être supérieure à la loi ou la Constitution d’un état de droit, et la liberté de culte dépasser le cap des actes de l’esprit. Mais qu'est-ce qui pourrait empêcher les croyants les plus entêtés de profiter d’un voyage dans des pays comme l’Inde, où la tolérance est de mise, pour faire exciser leurs filles en toute impunité ? Il est évident que le devoir d’informer est un allié indispensable de l’action judiciaire, la coercition seule ne pouvant donner des résultats satisfaisants.
Johari, née dans la communauté Bohra de Mumbai, a été excisée à l’âge de sept ans : "Juste avant que la femme me coupe, ma mère m’a chuchoté à l’oreille de ne pas m’inquiéter." Après avoir lu des articles sur les MGF, elle a découvert Sahiyo, un site dédié à la lutte contre les mutilations génitales féminines proposant aux femmes de partager leurs expériences via un forum de discussions. "Plusieurs femmes affirment que leur vie n’a pas été affectée par l’excision, mais là n’est pas la question. Nous étions toutes mineures quand cela est arrivé et incapables de faire notre propre choix. Comment quelqu’un peut-il prétendre que sa vie sexuelle n’aurait pas été meilleure sans ça ? Personne ne peut me le garantir et c’est ce qui me frustre le plus."
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