Sphère sociétale

GPA éthique, ineptie d'un concept

GPA éthique, ineptie d'un concept

GPA éthique, ineptie d'un concept

De la notion d’éthique en matière de Gestation Pour Autrui.

Le 12 juillet 2016, le site Révolution Féministe publiait un billet choc intitulé Gestation Pour Autrui (GPA) « Devis gratuit », dénonçant une marchandisation du corps des femmes, qui ne s’opère pas uniquement dans l’hypersexualisation, la pornographie ou la défense du système prostitutionnel mais également dans le laissez-faire concernant le recours aux « mères porteuses » à savoir la Gestation Pour Autrui (GPA) aussi connue sous le nom de « maternité de substitution ». Pour les besoins de l’argumentation, ce billet fut illustré par un spécimen fictif de devis gratuit destiné aux futurs « clients ». 


Si cette illustration vous scandalise, qu'elle vous paraît extrême, c’est qu’il y a une raison, ou plutôt deux. La première est que c'est exactement l'effet recherché. Ensuite, c'est surtout pour rappeler que légaliser la GPA, c’est lui donner une dimension contractuelle. Elle ne pourra donc être « encadrée », selon les bons voeux de ses partisans.es, précisément que dans le « cadre » d’une transaction. 

Malgré l’emballage emperlé de bons sentiments que certains, y compris philosophes et politiques, s’évertuent à présenter, la GPA et son cortège de casseroles ne peut en aucun cas être placée au même niveau éthique et humain que la PMA. Ce n’est pourtant pas l’avis d’Élisabeth Badinter, philosophe féministe qui déclare être pour une GPA éthique et pour qui la gestation pour autrui est acceptable si elle est encadrée. En supposant que Madame Badinter, intellectuelle de haut vol et féministe engagée, ait formé sa pensée à partir d’éléments factuels rigoureusement analysés, on ne peut que s’interroger quant à la synthèse édulcorée qui en ressort. Car même dans les conditions les plus strictes d'encadrement légal, sanitaire, social, médical et psychologique - et nous savons que c'est loin d'être le cas dans les différents pays l'ayant légalisée - comment occulter le vrai visage de la GPA dissimulé sous le masque de l'éthique, à savoir la réduction du corps féminin à l'état d'incubateur naturel, et celle de l'enfant à celui de produit de consommation ? Nous y reviendrons.

GPA, définition et description.

La gestation pour autrui (GPA) est une pratique sociale de procréation par laquelle une femme porte l'enfant à naître d'une autre femme. L'ovule peut être issu de la mère par destination, d'une donneuse ou directement de la mère de substitution. La GPA est rendue possible grâce à des méthodes de procréation médicalement assistées (PMA). Un embryon obtenu par fécondation in vitro est placé dans l'utérus de la mère porteuse qui accouchera d'un enfant remis à la naissance à la personne ou au couple de commanditaires, appelés aussi « parents intentionnels ». Les embryons ne sont habituellement pas conçus avec l'ovule de la mère de substitution, mais avec celui d'une donneuse d'ovocyte ou de la femme commanditaire, appelée également « mère intentionnelle ». 

NB : en termes juridiques, on distingue les « mères porteuses » des « mères de substitution ». Les mères porteuses portent un enfant issu de leurs propres ovules et du sperme du père ou d'un donneur. Les mères de substitution, elles, portent un enfant conçu généralement par FIV à partir des gamètes du couple de destination ou de donneurs. Une mère porteuse est donc aussi donneuse, alors qu'une mère de substitution porte un enfant qui n'est génétiquement pas le sien. Quoi qu'il en soit, dans les deux cas, l'enfant sera abandonné à la naissance par la femme qui l'aura porté et mis au monde.

GPA, ce que dit la loi française.

Selon les termes de l'article 16-7 du Code civil, « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. » D'abord condamnée en France en 1991 par la Cour de cassation, elle fut interdite en 1994 lors de l'adoption de la loi de bioéthique, interdiction reconduite en 2004 puis 2010.

La GPA est également interdite en Italie, en Espagne, en Suisse et en Allemagne. Elle est en revanche autorisée dans de nombreux pays comme le Royaume-Uni, la Grèce, la Belgique et Pays-Bas, la Biélorussie, l'Ukraine, l'Inde, la Moldavie et Israël. Autorisée également au Canada et aux États-Unis, la législation varie toutefois selon les provinces et les états. Nombre de couples français profitent alors de cette opportunité hors frontières, s'exposant à des risques de dérives marchandes dénoncées par plusieurs associations dont le Collectif pour le respect de la personne. En cause, des risques médicaux, psychologiques, éthiques et juridiques, mais aussi religieux et philosophiques.

Problématiques concernant la mère porteuse et l'enfant.

Souvent minimisé dans les débats, le risque médical pour la gestatrice et l'enfant est pourtant élevé. D'ailleurs, toute grossesse est potentiellement à risque. Cependant, pour Aude Lorriaux, journaliste pour SLATE, en réalité, les principaux soucis que l'on peut rencontrer sont sensiblement les mêmes que pour une grossesse via fécondation in vitro et à peine plus problématiques que pour une grossesse naturelle. Vraiment ? Ce n'est pas l'avis du Comité Consultatif National d'Éthique, qui alerte sur les risques médicaux, y compris vitaux, encourus par la femme enceinte et l’enfant lors de la GPA. Dans son Avis n° 110, il est notifié que les risques sont réels et ont été rappelés de manière exhaustive par l’Académie de médecine ; ils englobent en particulier les cas de grossesses multiples et de prématurité qui seraient encourus dès lors qu’on ne se limiterait pas à transférer un seul embryon. Et nous savons que lors d'une GPA, attendu que les sommes d'argent en jeu sont considérables, beaucoup de cliniques font le choix d'implanter plusieurs embryons afin de réduire le risque d'échec. 

Les risques sont également liés à la réalisation d’une césarienne ou d’une intervention pour une hémorragie de la délivrance. Un avis qui pose logiquement la question de la responsabilité en cas de complications, relevée par le Comité : « Comment s’établirait alors la responsabilité respective des différentes parties en présence ? Quoi qu’il en soit, le fait que la gestatrice soit consentante ne saurait en aucun cas servir d’alibi face au premier devoir médical, à savoir ne pas nuire. Même si grossesse et délivrance se passent normalement, les grossesses et les accouchements répétés éprouvent le corps des femmes et peuvent avoir des répercussions sur leur santé ultérieure. » (1) 

Oui, les accouchements répétés éprouvent effectivement le corps des femmes. Et aux complications liées aux fins de grossesses comme le diabète, l'hypertension et la prématurité, s'ajoutent les problèmes urinaires, veineux, vergetures, prise de poids, ptose mammaire, dépression post-partum. La Dre Sylvie Epelboin, génécologue obstétricienne à l'AP.HP (CHU de l'Ile de France) évoque également des questions fondamentales posées quant à la définition de la filiation humaine, des dangers d'instrumentalisation du corps des femmes, des risques physiques et psychiques qu'elles encourent, et des interrelations mère-enfant pendant la grossesse. Voilà donc la question de l'éthique. Elle déplore notamment que les arguments avancés en faveur de la légalisation de la GPA prennent en compte en priorité le « mal d'enfants » des couples dont la femme n'a pas d'utérus, reléguant au second plan, et l'intérêt de l'enfant, et celui de la « mère porteuse ». Pourtant, précise t-elle, les GPA mettent bien en cause l'ensemble de ces protagonistes, ainsi que leur parentèle. (3) Mentionnons également les risques augmentés de syndrome d’hyper-stimulation ovarienne, lorsque la mère porteuse est aussi la donneuse d'ovocytes.

Pourquoi GPA et PMA posent la question de l'éthique ?

La souffrance des femmes dont l'utérus est absent ou inapte au développement d'une grossesse est indiscutable et leurs bonnes intentions quant au bien être de l'enfant issu de la gestation d'une autre, le plus souvent indéniables. Mais quelles que soient les motivations, humainement compréhensibles, qui poussent les couples et les femmes à y recourir, GPA et PMA sont toutes deux le résultat d'une technique médicale qui relève de la « manipulation du vivant » et dans le cadre d'une GPA, ce concept ne soulève pas seulement des questions d'ordre bioéthique, car la grossesse n'est pas qu'un événement individuel ou de couple, elle implique la famille (nucléaire et élargie) ainsi que la société.

Des préoccupations d'ordre psycho-social de la mère porteuse.

À moins d'être célibataire, sans famille, sans aucune vie professionnelle et sociale, de passer les neuf mois de grossesse totalement recluse, la gestatrice devra gérer des questions multiples, notamment l'issue de sa grossesse... sans enfant ! Affronter le regard et les interrogations des proches, collègues de travail, voisins, gérer le vécu de ses enfants, de son conjoint et donc l'équilibre de son couple peut s'avérer problématique. Il est donc légitime de se demander comment un enfant peut vivre le fait de voir sa mère enceinte, puis abandonner son bébé à la naissance et ce, quelle qu'ait pu être la qualité de sa préparation psychologique. Et par ailleurs, est-il moral de demander à un ou plusieurs enfants de partager la générosité de leur mère ? Quelles répercussions sur la vie du couple pendant et après la grossesse, et qu'en sera t-il de la relation de la mère porteuse avec ses prochains propres enfants ? Peu d'études ou d'articles ont été publiés sur ces sujets, le plus grand nombre ayant plutôt focalisé l'attention sur les enfants et leurs familles d'accueil et non sur le suivi médical et psychologique à moyen ou long terme des mères gestatrices. Autant de questions éludées qui, tant qu'elles n'auront pas été rigoureusement étudiées, continueront et à juste titre, d'alimenter les polémiques autour de la question d'une GPA éthique. 

De l'intérêt de l'enfant à naître.

La relation mère-enfant, étudiée par de nombreux chercheurs et psychologues, se construit dès la grossesse, temps d'échanges hormonaux, nutritionnels mais aussi affectifs essentiels au développement de l'enfant. Nombreuses sont les images échographiques qui témoignent d'une véritable interaction émotionnelle entre la mère et le bébé qu'elle porte. Objectivement, faire l'impasse sur les aspects affectifs de ces temps forts de la grossesse semble difficilement concevable, moralement parlant, surtout en l'absence de recul quant aux répercussions sur l'équilibre psycho affectif de la mère ou de l'enfant. Car notons que les récentes études révélant que les enfants issus d'une GPA sont aussi (voire plus) équilibrés et heureux que les autres, tout biais mis à part, l'ont été sur de tous jeunes sujets. Quant aux rares témoignages d'adolescents ou jeunes adultes issus d'une GPA, ils ne sauraient rendre compte d'une réalité d'ensemble sur laquelle nous ne disposons finalement que de peu d'éléments d'analyse.

Une éthique de la marchandisation du corps de la femme et de l'enfant ?

Est-il raisonnable d'accoler le terme éthique à la GPA, par définition, la location de l'utérus d'une femme qui abandonnera immédiatement après l'accouchement un enfant destiné à la vente, surtout au vu des dérives mercantiles possibles et par ailleurs déjà observées dans les états où elle est autorisée ? Si les études menées jusqu'à présent se révèlent rassurantes quant aux conditions d'accueil et l'équilibre des enfants conçus dans le cadre d'une GPA, en revanche, les récits affluent de mères gestatrices témoignant de leur expérience, souvent amère et traumatisante.


Pour Kelly, une Américaine par trois fois mère de substitution, « La GPA est entourée de mensonges ». Son témoignage, publié sur le Figaro.fr fait mention d'une situation précaire et d'une « aubaine » (25 000 $ ) pour cette jeune femme de seulement 19 ans, mariée avec déjà 2 enfants à charge et dont le mari n'avait pas d'emploi stable. Kelly a expérimenté les 2 formes de GPA autorisées aux États Unis, l'une contractuelle par l'intermédiaire d'une agence, l'autre dite « altruiste », un arrangement de particulier à particulier et le constat est édifiant : tout le monde ment aux mères porteuses. Les parents d'intention, les agences, les personnels soignants... « Tous ces gens mentent aux mères porteuses, leur dissimulent les risques, la précarité juridique des contrats, les conséquences possibles sur la santé… » C'est que le marché de la fertilité, comme celui du tabac ou de l'industrie pharmaceutique, est extrêmement lucratif. Le lobbying de la fertilité (Big Fertility) regroupe de très nombreux professionnels qui participent d'une vaste campagne de désinformation sur les risques qu'ils font encourir à leurs clientes, le tout bien sûr pour continuer d'engranger d'immenses profits.

En Inde, le tableau est encore plus sombre. Sheela Saravanan, universitaire indienne, explique ce qu'elle nomme « le grand bazar de la GPA » qu'elle qualifie de violation des droits humains. Son étude a révélé les inégalités sociales structurelles rendant les femmes indiennes plus vulnérables à l'exploitation, à la fois au sein du marché, par les praticiens, mais aussi par leurs maris et leurs familles. « Dans la maternité de substitution, les enfants aussi sont marchandisés. On leur met des tarifs, par enfant. Rien n'est payé en cas de fausse couche, les enfants nés avec un handicap ou qui ne sont pas du sexe désiré se retrouvent à l'orphelinat, vendus ou abandonnés dans les rues. [...] Les paiements effectués aux mères de substitution étaient calculés en fonction du poids du bébé, il y avait une négociation au rabais en cas de grossesse gémellaire, faisant de cela un véritable marché de l'enfant. » (4) Même si  fin 2018, le parlement indien a adopté un projet de loi interdisant la GPA à des fins commerciales n'autorisant que la GPA « altruiste », il est fort à craindre que ce cadre légal extrêmement restrictif donne naissance à un marché noir encore plus abusif.

De l'éthique ou du mode d'emploi ?

Geneviève Azam, économiste française, maître de conférences en économie et chercheuse à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, a voulu montrer comment le principe même de la GPA et les conditions de son exercice ne relèvent pas d’une démarche éthique, notamment en pointant la confusion entre éthique et mode d'emploi. « La brutalité de l’échange entre une femme ne disposant de rien d’autre que d’un corps-machine et un couple passant une commande, ne peut être supprimée, quelle que soit la rémunération accordée et quels que soient les termes de l’échange et du contrat. » [...] Une GPA dite « éthique » reviendrait à assurer seulement les conditions de l’échange et du marché : aucun marché ne saurait en effet fonctionner sans des règles qui en permettent la possibilité, l’efficacité et la pérennité. L’éthique porterait donc sur les termes du contrat et non sur la possibilité ou non d’un contrat. En cela, elle ne diffèrerait en rien de l’éthique du business, sorte de déontologie assortie d’un mode d’emploi, d’une règle du jeu. La question éthique fondamentale, celle du renversement des fins et des moyens propre à l’instrumentalisation de la vie et à la revendication d’un « droit à l’enfant », ne saurait être effacée par une « éthique » à finalité instrumentale. (3)

Nonobstant les nombreux plaidoyers pro-GPA, arguant la générosité et l'altruisme des femmes gestatrices (moyennant finance, tout de même...), le « droit à l'enfant » des couples stériles, il n'en demeure pas moins que dans les faits, comme pour la prostitution, cette pratique repose sur l'exploitation des femmes les plus démunies. Derrière la revendication du  droit à l'enfant, quand il n'est pas question d'émancipation des femmes (sic!), c'est le système capitaliste patriarcale qui exerce son pouvoir coercitif sur les femmes les plus vulnérables. 




1 - https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_110.pdf 

2 - Gestation pour autrui : une assistance médicale à la procréation comme les autres ? Dans L'information psychiatrique 2011/7 (Volume 87), pages 573 à 579

3 - https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-16-printemps-2018/dossier-le-s-feminisme-s-aujourd-hui/article/pourquoi-la-gpa-ne-peut-pas-etre-ethique-6046 

4 - https://collectifcorp.files.wordpress.com/2018/08/sheelasaravanan-itv1.pdf? 


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