Sphère sociétale

L'utérus artificiel, rêve scientifique et cauchemar sociétal

L'utérus artificiel, rêve scientifique et cauchemar sociétal

L'utérus artificiel, rêve scientifique et cauchemar sociétal

Utérus artificiel : vers le meilleur des mondes ?

En 1932, un écrivain visionnaire, Aldous Huxley, dans un roman dystopique dépeignait une société où les êtres humains, créés en laboratoire, étaient chimiquement conditionnés pour intégrer qui les strates supérieures, qui les strates inférieures de la société. Pour Huxley il s’agissait d’interpeller les lecteurs sur les dangers que représentait le concept d’ectogénèse, soit la procréation et la gestation extracorporelle d’un être vivant, inventé en 1923 par un généticien eugéniste, John Haldane.

La prétention des hommes à œuvrer comme Dieu, voire à le surpasser, à créer la vie sans passer par la reproduction naturelle, ne date pas des années 1920. Dès le 16ème siècle les alchimistes ont fantasmé sur la possibilité de « produire l’homme en dehors du corps de la femme ». Paracelse, médecin, théologien laïc et alchimiste, en donne une recette en 1537 : « On laisse se putréfier la semence humaine en un vaisseau scellé qu’on soumet quarante jours durant à la température biologique, jusqu’à ce qu’un mouvement soit perceptible. La substance aura revêtu à ce moment une forme vaguement humaine, mais sera transparente et dépourvue de corps. À ce stade, il faut l’alimenter avec l’Arcanum du sang humain. Après quoi elle se développera pour donner un véritable enfant possédant tous ses membres, plus petit simplement qu’un enfant normal. » Rêverie d’alchimiste, le petit homme « éprouvette » passera à la postérité sous le nom d’homoncule. En 1916, le réalisateur allemand, Otto Ripper, reprendra l’idée dans un film de science-fiction, Homunculus. Anticipant la formulation du concept ectogénique, il portera à l’écran la première vision d’une matrice artificielle propre à créer des surhommes. Hormis la vanité scientifique, on se demande si derrière l’homoncule et l’ectogénèse ne se profile pas une mise en cause de la responsabilité des femmes dans les avatars de la procréation.


La représentation du corps féminin héritée du Moyen âge, oscillant entre incomplétude et imperfection, n’est certainement pas étrangère à l’infatuation de concevoir une matrice générant à coup sûr des êtres parfaits. Le premier utérus artificiel « fonctionnel », breveté en 1955, est à mettre au crédit d’Emanuel M. Greenberg, un inventeur préoccupé par la viabilité des prématurés. Aucune certitude cependant que la machine n’ait jamais été construite.

Aujourd’hui, l’utérus artificiel est une réalité. En 2017 une équipe de chercheurs de Philadelphie a réussi à maintenir en vie pendant quatre semaines un fœtus d’agneau dans un utérus, ou plus précisément un sac amniotique artificiel. Pour la catégorie des scientifiques apprentis-sorciers qui aiment à jouer avec le vivant, la nouvelle fût certainement enthousiasmante. Mais pour tous ceux qui mettent les progrès de la science en perspective avec leurs dérives historiques, elle a sûrement suggéré que le cauchemar de Huxley semblait ne jamais avoir été aussi proche de pénétrer le réel. Quatre-vingt-sept ans après « Le meilleur des mondes », seules quelques années sépareraient les prématurés humains de la possibilité de poursuivre leur maturation dans une matrice artificielle, c’est en tout cas ce qu’a déclaré le gynécologue Guid Oei, lors d’un symposium intitulé « Utérus artificiel : Rêve ou cauchemar ».

Une chance pour les grands prématurés.

Pour la crédibilité éthique de l’utérus artificiel les scientifiques invoquent le plus souvent une chance accrue de survie pour les bébés venant au monde très prématurément. Et là difficile d’argumenter en faveur des lois naturelles qui régissent la vie ou de prétendre sans soulever l’indignation générale que nous serions pour que la mort fasse son office dans de pareilles circonstances. À ce jour au niveau mondial, plus de 15 millions de bébés naissent prématurément chaque année. Le phénomène va en s’amplifiant, notamment en France. Selon l’Inserm, la prématurité est passée de 5,9% des naissances en 1995 à 7,4% en 2010. Parmi eux […] 10% sont de grands prématurés et 5% des prématurés extrêmes (entre 22 et 26 semaines de grossesse). Grâce à l’utérus artificiel des centaines de milliers de prématurés extrêmes pourraient se développer dans les meilleures conditions en attendant d’être suffisamment forts pour un transfert dans les couveuses traditionnelles. Peut-on être contre la technologie quand elle se met au service de la vie ?

De nouvelles perpectives de parentalité.

L’utérus artificiel pourrait aussi ouvrir de nouvelles perspectives de parentalité pour les couples souffrant d’infertilité, les couples homos et les couples trans. Si le désir d’avoir un enfant n’est pas discutable, les conditions dans lesquelles il est conçu et arrive à terme le sont nettement plus. La déshumanisation de la procréation, amorcée par la fécondation in vitro, prend avec l’utérus artificiel une dimension inquiétante et l’on se questionne quant à la valeur que l’on accorde encore aux mystères de la vie.

Nous savons peu de choses sur les relations indicibles qui se nouent entre la mère et son bébé in utero, mais nul ne semble douter de leur existence. Le rapport mère-enfant qui s’intensifie tout au long de la gestation serait-il seulement bénéfique pour l’investissement maternelle post-natal ou bien doit-on considérer qu’il est aussi capital pour la construction psychologique de l’enfant ? Pour le docteur et philosophe Benoît Bayle, reconnu pour ses travaux en éthique de la procréation humaine, la réponse est claire : « La grossesse est la première étape de la vie psychologique de l’être humain […] car pendant cette période se mettent en place un nombre d’éléments importants qui vont marquer son développement psychologique sur la base de la relation qui se construit pendant la grossesse. » De plus, comme l'a démontré le professeur Alban Lemasson, notamment directeur du laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université de Rennes, le fœtus est sensible aux émotions ressenties par sa mère et nul doute que les expériences émotionnelles qu’il vit in utero participeront de la qualité de sa structuration psychologique et de sa personnalité. L’évidence des interactions émotionnelles mère-enfant et leurs conséquences bénéfiques pour l’une et l’autre, freinera-t-elle ceux qui en défaut de parentalité voit dans l’utérus artificiel la solution à leur problème ? Pas sûr, tant le désir de jouir de la parentalité peut s’accommoder de certaines dérives.

Des bébés bien sous tous rapports.

Autre argument trouvé en faveur de l'utérus artificiel : la certitude que dans un environnement sous contrôle constant le fœtus pourra bénéficier de conditions optimales pour son évolution. La volonté de maîtriser les risques liés à la grossesse trouve ici son expression la plus aboutie. Baigné dans un liquide amniotique idéalement équilibré, nourri de la meilleure des manières, surveillé et choyé en permanence, le fœtus aurait toutes les chances d’avoir une constitution parfaite au jour de sa « naissance ». Avec l’optimisation de la gestation, certains se prennent à rêver de l’avènement d’une surhumanité, plus robuste, plus saine et débarrassée du handicap. L’eugénisme, étymologiquement « bien naître », continue de fasciner les scientifiques toujours persuadés que leur contribution à l’amélioration du vivant peut surpasser celle des mutations génétiques naturelles. 

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