La crise de la masculinité ou la fin des sociétés androcentrées.

Pour une métamorphose de l'idéal masculin.
Les révélations en chaîne des cas d’agressions sexuelles ont poussé sur le devant de la scène sociologique une question fondamentale : qu’est-ce qui ne va pas chez les hommes ? Après tout dans la grande majorité des cas ce sont eux qui se retrouvent sur le banc des accusés. La réponse pourrait être aussi simple que cynique : l’homme est pris dans une construction sociale surannée persistante qui le formate à la domination par la violence. De sa plus tendre enfance où on lui martèle qu’un garçon ne pleure pas comme une fille à son âge adulte où on lui demande « d’avoir des couilles », l’homme doit prouver à ses pairs qu’il est un dur.
La lutte sanglante entre les mâles pour l’obtention du pouvoir, en tant qu’élément génético-culturel, est une réalité intangible de l’univers des mammifères. Malgré ses prétentions d’espèce évoluée, l’homme n’y échappe toujours pas. Quelle différence fondamentale y-a-t-il entre deux gorilles qui s’écharpent pour le contrôle d’un harem et deux hommes qui se défient aux poings pour les beaux yeux d’une dame ? L’évolution est un concept très ambigu. Bien que la deuxième moitié du 20ème siècle ait vu se concrétiser des changements culturels radicaux, les déterminants du mâle sont fâcheusement restés inchangés : domination, contrôle, force physique et maîtrise des émotions. L’idéal masculin, auquel tout garçon est supposé aspirer, est façonné par des concepts dont l’obsolescence nourrit un conflit avec la nature du monde moderne.
L'homme n'est plus le sexe fort.
En 1886, Richard von Krafft-Ebing, auteur de l’emblématique Psychopathia Sexualis, affirmait que la sexualité répondait chez l’homme à une force biologique, un instinct naturel exigeant d’être assouvi. L’idée que les hommes sains et en bonne santé devaient satisfaire leurs besoins sexuels, sans avoir à tenir compte du désir de leur partenaire, n’était certainement pas nouvelle, mais devenait par l’intermédiaire des premiers penseurs de la sexualité un dogme présidant aux relations entre les hommes et les femmes. La conquête sexuelle des femmes était alors acceptée et même encouragée au titre de la reconnaissance de la masculinité. Cette vision du masculin était raccord avec l’androcentrisme des sociétés du 19ème siècle où l’on attribuait à l’homme un statut supérieur à celui de la femme, où ses droits étaient plus étendus que ceux des femmes et où on lui reconnaissait la fonction de grand bâtisseur du monde moderne. L’expression, autant déséquilibrée qu’absurde, de cette perception du rôle que joue les hommes et les femmes dans l’avancement des sociétés, atteint son paroxysme idéologique lorsque Krafft-Ebing affirme sans détour que la fonction de la femme dans la procréation est celui d’un réceptacle passif. L’éminent sexologue oubliant, comme l’ensemble de ses contemporains, que la procréation ne peut se réduire au trois minutes du coït et que les neufs mois de grossesse et l’accouchement sont autrement plus impliquants que l’éjaculation du sperme dans le conduit vaginal.
Les préceptes sociaux sur lesquels se sont construits les hommes pendant des siècles ne sont plus aujourd’hui en adéquation avec ceux qui guident l’organisation des sociétés post-modernes. Les transformations imposées par les mouvements féministes ont mis à mal, en quelques décennies, la position dominante multiséculaire du masculin. Que ce soit dans le cadre professionnel ou familial, les hommes semblent avoir perdu leurs repères. Le partage des responsabilités dans la gouvernance des entreprises et des états, celui des tâches ménagères dans la gestion de la vie de couple, la disparition des domaines professionnels réservés, la redéfinition des principes animant les relations romantiques et sexuelles, ont participé à la construction d’un nouveau modèle d’homme, plus contraignant par ses exigences que l’ancien et parfois paradoxal. De plus, la libération sexuelle des femmes ayant affirmé leur droit à la jouissance, a mis en lumière la faiblesse sexuelle masculine. L’évolution de la notion d'éjaculation précoce a précipité la plupart des hommes dans cette catégorie renforçant leur malaise à l’aune du culte de la performance promu par les pornographes. Malaise traduit par une anxiété de la performance qui dans bien des cas les conduit à manifester très jeunes des troubles de l’érection et à montrer ostensiblement les signes de leur impuissance. Dans l’entreprise, la famille et au lit, l’homme n’est plus le sexe fort et doit composer avec ce paradigme aussi nouveau qu’inattendu.
Redéfinir la masculinité ?
Ne serait-il pas plus pertinent de se poser la question de l’acceptation d’un nouveau statut de l’homme dans les sociétés contemporaines que celle de la redéfinition de la masculinité ? Car ne doit-on pas reconnaître finalement que cette dernière est déjà amplement redéfinie ? La véritable cause du malaise des hommes n’est-elle pas liée à leur difficulté à se départir d’un schéma dans lequel ils étaient confortablement installés ? Et d’ailleurs ces difficultés en sont-elles vraiment ? Ne devrait-on pas plus sincèrement évoquer un accès de mauvaise volonté, une obstination à vouloir conserver des privilèges hérités d’une conception archaïque des rapports sociaux ?
L’émergence d’un courant de pensée contestataire du féminisme, révélée par la multiplication de sites et blogs ouvertement hostiles à l’émancipation des femmes, marque cette volonté de résister à la perte de certaines prérogatives. Pour les membres de la manosphère, réseau de sites web et forums en ligne foncièrement misogynes, les transformations féministes des sociétés, la chute du patriarcat, causent des ravages dans la communauté des hommes : perte d’identité, d’estime de soi, dévalorisation, célibat forcé et suicides. Il est vrai que le taux de suicide est plus important chez les hommes que chez les femmes et les défenseurs des thèses masculinistes ne manquent pas de présenter le fait comme une preuve du malaise des hommes dans une société où ils ne trouveraient plus leur place. Cependant, la réalité du suicide est bien plus nuancée. Si les hommes trouvent la mort par suicide plus souvent que les femmes, c’est parce qu’ils utilisent des moyens plus radicalement létaux. Les femmes sont par contre plus nombreuses à faire des tentatives de suicide. Notons aussi que le taux de suicide en France, tous genres confondus, est en diminution depuis le début des années 2000 ! Par ailleurs, le suicide chez les hommes serait mieux expliqué par le phénomène d’alexithymie, ou l’incapacité à reconnaître et à exprimer ses émotions, plus prégnant chez eux que chez les femmes. Pouvoir verbaliser ses émotions négatives c’est s’offrir la possibilité de trouver un interlocuteur et donc de l’aide. Ce défaut d’aisance dans la communication n’est en rien lié à l’expansion des idées féministes, mais plus probablement à une construction toxique de la masculinité, qui impose aux hommes de contenir leurs émotions, celle-là même dont les femmes ont subi sur des générations les effets pernicieux. On peut alors se demander si la crise de la masculinité ne serait pas la meilleure chose qui soit arrivée au genre humain depuis son apparition, dans la mesure où elle impose l’émergence d’un homme nouveau plus adapté pour relever les défis sociétaux contemporains.
24-06-19
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