La traque au poil

"Le cheval de trait recherche un char agréable. Les séducteurs un sourire. Le membre viril les lèvres poilues. Et la grenouille l'eau." (Rig-veda Samhitâ, IX, 112, 1, 41.)
"Le poil, voilà l'ennemi !" En ces quelques mots pourrait se résumer l'estime qu'un large public accorde à son système pileux. Effet de mode, principes d'hygiène, confort érotique, recherche de sensations visuelles et tactiles exacerbées par l'épilation intégrale, ou manifestation inconsciente d'un rapport ambiguë à la sexualité ? En effet, l'émergence du sexuel est visiblement manifestée par l'apparition des poils pubiens au moment de la puberté.
Du point de vue historique, le poil, manifestant la virilité masculine comme la sensualité féminine, a connu son heure de gloire notamment au cours du XIXème siècle alors qu'il était considéré comme très érotique. Ci-dessus, le célèbre tableau L'origine du monde de Gustave Courbet en témoigne, présentant sous une perspective insolente un sexe féminin pourvu d'une toison laineuse particulièrement dense. Ce tableau qui porta scandale dans cette fin de siècle, choqua-t-il par l'obscénité de la présentation en gros plan du sexe féminin ou par la luxuriante touffe de poils qui le surplombe ? Probablement l'alliance de ces deux particularités a-t-elle été perçue comme un cuisant rappel à l'ordre naturel des choses de la vie, de l'origine primitive de l'homme, de sa proximité avec l'animal, point de vue d'autant plus dérangeant qu'il l'éloignerait de sa vocation spirituelle à rejoindre la condition divine.
L'origine du monde (Gustave Courbet - 1866)
Le rapport ambigu qu'entretient l'homme avec sa pilosité, fluctuant entre aversion et fascination, n'est d'ailleurs pas le fait du seul Occident, pas plus qu'il n'est un phénomène de mode récent, comme le démontre la découverte archéologique de ce qui semble être des pinces à épiler rudimentaires, retrouvées dans des sépultures datant de l'âge de fer, sans que l'on sache avec certitude si elles servaient à retirer des poils plutôt que, par exemple des épines ou des échardes. À partir du 3ème millénaire avant Jésus-Christ, probablement influencée par les croyances religieuses de l'époque, s'est développée une véritable culture de l'épilation. Mésopotamie, Phénicie, Egypte ancienne, toutes ces civilisations ont vu pharaons, rois, reines et notables recourir à l'épilation parfois intégrale, une pratique supposée les différencier du commun des mortels, le poil étant alors assimilé à l'impureté. Dans la culture arabo-musulmane également, l'épilation des femmes est un élément de culture à part entière et non un effet de mode.
Il semblerait donc que de tous temps, l'homme à la fois recherche et fuit son animalité, laquelle est visiblement manifestée par la présence de poils, naturellement plus abondants sur les parties génitales. Il la recherche à travers des pratiques érotiques de plus en plus bestiales, inspirées par le cinéma porno où, paradoxalement, les poils disparaissent totalement pour ne laisser voir que des sexes parfaitement glabres. Il la fuit par le biais d'un diktat culturel méprisant le poil pour des raisons esthétiques et hygiéniques somme toute discutables, comme si un sexe poilu était forcément sale et malodorant. Il est d'ailleurs tout aussi intéressant de considérer le combat sans merci livré par l'homme contre sa propre odeur naturelle que déodorants et parfums font disparaître, quand l'hygiène la plus élémentaire est parfois négligée. Et sur le point de l'hygiène, il semble que règnent un certain nombre de préjugés au service de la culture du "tout lisse pour tous". Selon une étude IFOP menée en 2014, une femme sur deux âgée de moins de 25 ans a recours à l'épilation intégrale du "maillot", entendre le pubis et les lèvres. L'influence du porno n'est sans doute pas étrangère à cette tendance souvent présentée comme plus hygiénique et plus confortable du point de vue érotique.
Jeune homme nu assis au bord de mer (Hippolyte Flandrin - 1836)
Pourtant, contrairement aux idées reçues les plus courantes, un sexe épilé n'est pas plus hygiénique qu'un sexe non épilé et inversement. Un dermatologue niçois, le docteur François Desruelles, a publié en 2013 une petite étude sur le sujet. Sur 30 patientes atteintes d'une infection virale à molluscum contagiosum, 93 % d'entre elles avaient un sexe épilé. Souvent à l'origine de l'infection, de petites coupures dues au rasage, et certains microtraumatismes survenus, par exemple, lors de rapports sexuels intenses. Egalement, une étude publiée en décembre 2016 dans Sexually transmitted infections a révélé que les personnes pratiquant une épilation intégrale du pubis seraient davantage susceptibles de contracter des maladies sexuellement transmissibles comme l'herpès, la chlamydia, la syphilis, ou encore la blennorragie. Nous sommes donc très loin des prétentions des adeptes de l'épilation intégrale à endiguer tout risque de maladie supposément transmise… par les poils ! Des poils qui ne favorisent pas plus qu'ils ne protègent contre les maladies sexuellement transmissibles, même si d'aucuns prétendent sans toutefois en apporter la preuve scientifique, qu'ils constitueraient une formidable barrière protectrice contre les microbes. Comme le disait Antoine Béchamp, médecin et pharmacien, "le microbe n'est rien, le terrain est tout" et le terrain ici est conditionné par l'hygiène, première garante de notre santé sexuelle.
Un sexe féminin totalement lisse serait-il le gage d'une sexualité libérée et ferait-il l'unanimité auprès de la gent masculine ? Il semble que non. Selon une étude réalisée par la marque de cire dépilatoire Nads, 88% des hommes interrogés se disent plus sensibles à un "jardin féminin bien entretenu", mettant en valeur un petit buisson ardent jugé très érotique, qu'à un sexe totalement dénué de poils. Quant aux femmes, 35% d'entre elles seraient sensibles à un torse velu et 3% à un torse très velu contre seulement 14% adeptes d'une esthétique masculine imberbe. Nous admettons toutefois que les sensations lors de cunnilingus, de fellations ou autres caresses érotiques puissent être ressenties comme plus agréables, tant pour le donneur que pour le receveur et que l'épilation "stratégique" de certaines parties du corps soit préférée à une présence anarchique de poils dont certains finissent parfois… entre les dents ! Mais quoi qu'il en soit, cette guerre du poil menée sous couvert d'arguments parfois capilotractés, n'en finit pas de pointer l'étrange rapport que l'homme entretient avec sa nature animale.
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