La vulve, tabou d'un complexe

Quand les femmes détestent leur vulve.
Il est un fait établi : peu de femmes ont un jour pris un miroir pour examiner leur vulve. Pour Betty Dodson, éducatrice sexuelle et féministe pro-sexe, les difficultés qu’éprouvent les femmes à jouir pleinement sont la conséquence d’une méconnaissance de leur intimité. Depuis les années 70 elle anime des ateliers de masturbation qui débutent toujours par l’expérience du miroir, prérequis incontournable d’une sexualité assumée et épanouie. Cependant, en dehors du cadre d’un atelier animé par une spécialiste bienveillante, la « découverte », pour celles qui osent s’observer dans le détail, est généralement teintée d’amertume, car bien souvent elles n’ont d’autres références que celles présentées par la pornographie : des vulves parfaitement symétriques, dont les petites lèvres sont idéalement roses et dissimulées par les grandes. Bien évidemment cela ne correspond en rien à la réalité de la plastique vulvaire fondamentalement hétérogène.
La chirurgie esthétique pour une vulve parfaite.
On estime que de plus en plus de femmes n’aiment pas l’apparence de leur sexe, c’est du moins ce qui ressort d’une étude publiée par une association américaine de chirurgiens esthétiques, ce désamour se traduisant par une inquiétante augmentation des interventions chirurgicales en vue de la réduction des petites et/ou des grandes lèvres, labiaplastie ou nymphoplastie. Vouloir modifier par un acte chirurgical un organe sain et fonctionnel est en soi une aberration, mais dans le cas présent tout à fait compréhensible au regard de la pression sociale de l’esthétique parfaite qui pèse sur les femmes. Rhinoplastie, mammoplastie, liposuccion, lifting et maintenant nymphoplastie, s’imposent au nombre de celles qui adhèrent au culte de la perfection. Culte qui à leur corps défendant les emprisonne dans des schémas de pensée trompeusement synonymes d’accession au bonheur. Cela dit, de tous temps les femmes et les hommes se sont référés à des canons de beauté, des standards esthétiques compris comme des gages d’intégration et de réussite sociale, mais rarement de bien-être. Paradoxe éternel d’une humanité qui pense trouver le bonheur dans l’éphémérité de l’apparence et se condamne à l’échec perpétuel.
La chirurgie esthétique de la vulve, lorsqu'elle n'est pas motivée par des raisons fonctionnelles (hypertrophie des lèvres), s’inscrit dans cette quête absurde de la conformité à la norme. La photographe Laura Dodsworth qui en en 2015 avait photographié cent poitrines de femmes dans le cadre de son projet « Bare reality » (La vérité à nu), a reconduit l’expérience en photographiant cent vulves. L’idée étant de mettre en évidence que la diversité, plus que l’uniformité, est la règle dans l’espèce humaine et qu’il serait bon de le comprendre une bonne fois pour toutes. À de rares exceptions près, aucune vulve n’est anormale, elles sont toutes différentes et varient naturellement en taille, forme et couleur. Les données sont là pour nous rappeler que les grandes lèvres font entre 6 et 12 centimètres et les petites lèvres entre 2 et 10 centimètres. Elles peuvent être fines ou épaisses, sombres ou plus claires et sont rarement symétriques. Cependant, rares sont les femmes qui ont d’autres références que le porno, ou le regard de leurs petits amis éduqués au porno, pour porter un jugement éclairé sur leur anatomie. Le projet de Laura Dodsworth est donc salutaire dans sa dimension éducative, si tant est qu’il soit suffisamment diffusé pour avoir un large impact. Et la chose serait souhaitable quand on sait que les demandes pour des labiaplasties provenant d’adolescentes suivent une pente ascendante, les plus jeunes d’entre elles ayant tout juste neuf ans !
En 2015, 95.000 nymphoplasties ont été pratiquées dans le monde. Si dans quelques cas elles se basaient sur un motif fonctionnel, dans tous les autres la raison était esthétique. Qu’il s’agisse de rajeunir l’apparence de leur sexe ou de se débarrasser d’un complexe, les femmes hésitent de moins en moins à recourir au bistouri. Le phénomène prend de l’ampleur et questionne. Qu’est-ce qui les pousse à vouloir modifier l’apparence de leur sexe, sachant que contrairement aux autres parties du corps il est n’est pas d’exposition fréquente ? Précisément le rapport non pas à la norme stricto sensu, mais à la normalité. Nombre des femmes qui n’aiment pas la configuration de leur sexe rapportent se sentir anormales, au même titre que si elles portaient un handicap.
Le recours à la chirurgie est sinon acceptable au moins compréhensible.
La pornographie a fait la promotion de l’épilation intégrale qui accroit la visibilité des lèvres normalement recouvertes et dissimulées par la toison pubienne. Ce qui était invisible ne l’est plus et les comparaisons peuvent se faire avec la représentation d’un sexe féminin, glabre, rose, symétrique et présentant un rapport jugé idéal entre les grandes et petites lèvres. De facto cette référence à l’anatomie porno a provoqué la mise au ban de la norme la quasi-totalité des vulves. De surcroît, et malgré tous les progrès apportés par les mouvements féministes, nous devons admettre qu’il persiste une gêne à parler ouvertement du sexe des femmes dans des termes qui ne sont pas moqueurs et caricaturaux. Les effluves, la pilosité ou encore la forme de la vulve sont au centre de nombreuses plaisanteries graveleuses qui marquent un fond de dégout pour l’appareil génital féminin adulte. Est-ce alors un hasard si le modèle de sexe, mis en valeur dans les sociétés nord-occidentales, n’a pas de poil et se présente plat comme celui des petites filles ou celui des poupées Barbie ? Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant qu’une frange de la gent féminine développe un sentiment d’anxiété et de honte au regard de son anatomie intime et craint de faire l’amour en pleine lumière et/ou se prive du plaisir d’un cunnilingus pour éviter d’être observée ou sentie de trop près.
Si les femmes en viennent à complexer sur leurs parties intimes au point de s’en remettre aux mains d’un chirurgien, c’est que la pression esthico-sociale est suffisamment importante pour qu’elles prennent le risque d’une opération ratée. Car, une intervention chirurgicale n’est jamais sans danger et une nymphoplastie qui se passe mal peut entraîner une perte de sensibilité, des douleurs chroniques, des saignements, des infections à répétition et détruire la vie sexuelle. Bien que les spécialistes manquent de recul, il semblerait aussi que la nymphoplastie vieillisse mal, les tissus pouvant devenir fibreux, rétractiles et d’aspect boursouflé. Même dans le meilleur des cas, les suites opératoires sont longues, 3 à 4 semaines de cicatrisation sont nécessaires pour reprendre une activité sexuelle normale.
La norme esthétique, un concept mortifère.
La vie des femmes « modernes » n’est assurément pas une sinécure. Le rapport qu’elles entretiennent avec la norme les contraint le plus souvent à la détestation et la négation de leur moi naturel. Vulve, cuisses, dents, seins, bouche, nez, fesses, tout est source de sentiments délétères poussant à la suppression des parties détestées pour des résultats rarement pérennes. Le bien-être est un horizon au corps parfait, plus on s’en rapproche, plus il recule. C’est donc une quête sans fin, qui n’apporte qu’une satisfaction momentanée. Heureusement depuis quelques années, certaines femmes ont décidé de rompre avec la dictature de la norme et de s’assumer telles qu’elles sont. Espérons qu’elles fassent un maximum d’émules !
F0419.
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