Sphère sociétale

Le masculinisme, misogynie radicale - Introduction

Le masculinisme, misogynie radicale - Introduction

Le masculinisme, misogynie radicale - Introduction

Une société harmonieuse et prospère ne se construira pas sans les femmes.

Pour changer radicalement de modèle sociétal, il ne suffit pas de faire table rase du passé avec quelques déclarations de principe et une litanie de vœux pieux, mais il est indispensable de le soumettre à un examen critique en bonne et due forme. Ce faisant, on conclurait sans ambages que la conduite du monde sous hégémonie masculine se révèle être un véritable fiasco, à l’image du « Jardin d’Eden » se métamorphosant lentement mais sûrement en une terre brûlée et exsangue. En donnant une valeur illusoire à leur suprématie, les hommes ont cru pouvoir se passer de la complicité et de l’intelligence des femmes pour construire les sociétés humaines. Orgueil, vanité et suffisance, ont sclérosé la pensée masculine l’empêchant de percevoir la réalité de ses limites et le bien-fondé d’une coopération active avec les femmes. S’il ne coûte rien de conjecturer en affirmant qu’une meilleure répartition des responsabilités aurait pu nous éviter le pire, on peut raisonnablement penser qu’une implication équitable des femmes dans les processus décisionnaires à l’échelle mondiale aurait ouvert des perspectives plus enthousiasmantes. 

Rappels succincts.

Fin des années 60, après des siècles d’oppression et de domination masculine, les femmes commencent à caresser l’espoir d’être considérées comme des êtres sociaux à part entière et de bénéficier des mêmes droits et prérogatives que les hommes. Un vent d’égalitarisme souffle sur les relations hommes-femmes et on se dit alors qu’une nouvelle ère est en train de s’ouvrir. Que ce soit au foyer ou dans l’espace publique, les hommes semblent accepter ce nouveau paradigme d’organisation sociale qui les place sur un pied d’égalité dans la gestion des affaires familiales, entrepreneuriales et politiques. Les années 70, voient l’esquisse d’une société où les femmes vont pouvoir exprimer leurs qualités intrinsèques pour le meilleur du développement socio-économique. On se prend à rêver d’un corps social harmonieux, d’un Eldorado relationnel, mais tel Pangloss on se fourvoie dans l’optimisme béat d’un monde devenu subitement parfait. Car il ne suffit pas de fantasmer un jardin luxuriant d’humanité encore faut-il faire preuve de détermination et de courage pour le cultiver. 

En remettant en cause, une organisation sociale où les hommes exerçaient sans partage l’autorité domestique, entrepreneuriale et politique, le féminisme s’expose rapidement aux foudres des tenants du pouvoir finalement peu disposés à abandonner leur position dominante. Portant la focale sur la minorité des féministes animées par une dynamique vindicative, ils vont imposer, avec la complicité des médias, une vision caricaturale du mouvement présenté, dès la fin des années 70, comme ouvertement hostile et castrateur. Dans ce contexte médiatique pernicieux, l’action des féministes n’a pas la possibilité de provoquer les changements radicaux escomptés. Le défaut de résultats probants, assorti de son lot de déceptions, va faire éclater la bulle féministe en de multiple groupuscules plus ou moins radicaux, aux revendications disparates, rendant, en ce début de 21ème siècle, son discours confus et improductif. 

Des victoires à la Pyrrhus.

2019, la cause des femmes a remporté quelques succès, plus souvent dans la forme que dans le fond. Dans la forme on ne remet plus en question, ou presque, la possibilité pour celles qui le souhaitent de ne plus dépendre financièrement de leur conjoint. Dans le fond, les heureuses travailleuses doivent souvent assumer la double charge de leur job salarié et des tâches ménagères. Dans la forme la contraception les a protégées de l’épée de Damoclès qui pesait sur leur tête à chaque rapport sexuel, dans le fond elles doivent assumer seules la responsabilité et les effets secondaires de la prise de contraceptifs. Dans la forme on leur reconnait les qualités pour accéder à des postes de décision, dans le fond elles restent peu nombreuses et quand elles y accèdent c’est généralement à moindre salaire. Dans la forme, la libération sexuelle, leur avait octroyé le droit de jouir de leur corps à leur guise, dans le fond, sous l’impulsion des pornographes ce droit s’est transformé en liberté des hommes à jouir du corps des femmes comme bon leur semble. Dans la forme si le viol est reconnu comme un crime passible de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, dans le fond la majorité des viols sont déclassés en agressions sexuelles et les femmes ont toujours autant de mal à faire reconnaître la véracité de leur agression.

N’en déplaise à quelques privilégiées de la sphère intello-artistique, viols, prostitution, maltraitance, violences domestiques, harcèlement, exploitation, discrimination salariale sont plus que jamais des incontournables de l’univers féminin. Certes les femmes de ménage sont devenues des techniciennes de surface, les prostituées des travailleuses du sexe, les auteurs des auteures, les chefs des cheffes… et si le champ lexical féminin s’est enrichi de quelques gratifications d’apparat, il est bien le seul à avoir connu de réels changements.

Étrangement, dans une société toujours aussi androcentrée se développe, dès le début des années 80, un courant de pensée réactionnaire regroupant des hommes accusant le féminisme de générer une discrimination sociale, juridique et économique envers la gent masculine. Anecdotique et marginal dans l’ère de Tatchero-Reaganienne, ce ressac antiféministe, labellisé « masculinisme », va gagner en importance et en virulence dans les premières décennies du 21ème siècle pour devenir un fait social porteur de dérives inquiétantes.

Le masculinisme.

Parmi les différentes occurrences du terme nous retiendrons celle qui renvoie aux factions, se prévalant de défendre la position dominante des hommes dans la société, ouvertement antiféministes et machistes. La philosophe Michèle Le Doeuff précise : « Le masculinisme est un particularisme qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux et leurs points de vue qui comptent). » Plus direct, le sociologue québécois Germain Dulac, affirme que le masculinisme se caractérise par « une haine envers les femmes perçues comme des ennemis à vaincre, à dominer » et un discours contenant des éléments de déresponsabilisation individuelle et collective de l’oppression des femmes. L’écrivain anglo-saxon Arthur Brittan, auteur de Masculinity and Power, abonde dans ce sens : « Le masculinisme prend pour certain qu’il y a une différence fondamentale entre les hommes et les femmes…et il réaffirme le rôle dominant et politique de l’homme dans les sphères publique et privée. » 

Pour troubler le débat, certains se font fort d’engager une bataille sémantique autour du terme masculinisme qui ne tendrait pas à s’opposer au féminisme, mais être son complément. Il serait indispensable pour prendre en charge les besoins et droits des hommes dans un objectif égalitaire, à défaut de quoi se créerait un déséquilibre entre la condition masculine et féminine. De prime abord et en valeur absolue l’argument pourrait être recevable, mais au vu de la réelle condition des femmes il est tout simplement absurde. Car pour que se crée un déséquilibre en faveur des femmes encore faudrait-il que le point d’équilibre ait été atteint, ce qui est loin d’être le cas : la balance penche toujours en faveur des hommes et contester le fait relève de la pure mystification. L’argumentaire bancal de ces masculinistes « modérés » cache par contre une réalité tangible : l’anxiété d’une partie de la population masculine face, comme le soutient l'historien Yves Verneuil, à une redéfinition de l’ordre social qui passe inéluctablement par une remise en cause des préconçus existentialistes assignant à chaque genre des fonctions indépassables. Cette anxiété de la perte des re-pères multiséculaires prend, pour les masculinistes radicaux, la forme de propos violents et haineux à l’égard des femmes et des féministes, qualifiées par les plus féroces d’entre eux de « féminazies ». 

Masculinisme et manosphère.

Ces hommes entrés en guerre contre les féministes et par extension idéologique contre toutes les femmes se regroupent au sein de différentes communautés formant un ensemble plus ou moins hétéroclite : la manosphère. Incels, Men’s Rights Activists (MRA), MGTOW (Men Going Their Own Way), Red Pills ou encore Men’s rights movement, se partagent la triste réputation de promouvoir la haine de la gent féminine. Le potentiel de nuisance de la manosphère n’est plus à démontrer. Le 24 avril 2018 à Toronto, un homme de 25 ans, Alek Minassian, appartenant au mouvement Incels, fonce dans la foule avec sa voiture et tue 10 personnes, dont 8 femmes. Quelques heures avant son passage à l’acte il avait publié sur Facebook un message annonçant « The Incel Rebellion has already begun ». Loin de choquer la communauté Incels, Minassian, acquis le titre de héros de la cause, laissant entrevoir que d’autres actions meurtrières n’étaient pas à exclure. Envisager de tuer des femmes au prétexte, dans les cas des Incels, d’une frustration sexuelle, montre à quel point ces misogynes contemporains sont gagnés par la folie. 

La condition des femmes, qui avait connu une embellie post soixante-huitarde, régresse indubitablement.

Au phénomène manosphère s’ajoutent ceux de la pornographie hardcore et de l’intégrisme religieux. Un triptyque mortifère ayant en commun la haine assumée et décomplexée de la femme. À juste titre, les féministes, les humanistes et tous ceux qui ont compris que l’avenir se construira sur la base de l’égalité femme-homme ont toutes les raisons de s’alarmer de ce retour en grâce du sexisme.

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