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Le porno féministe.

Le porno féministe.

Le porno féministe.

Des féministes pour un porno éthique et esthétique.

Consommer du porno sur le net c’est comme manger chez Mac Do, ce n’est pas cher, c'est rapide, mais ça rassasie en laissant un poids sur l’estomac, une sorte de culpabilité émaillée de regrets. Dans une interview pour Vice, la productrice de porno féministe Erika Lust déclarait : "Vous pouvez aller sur le net pour prendre votre pied sur un porno mainstream, mais ça s’arrête là. Pour apprécier la chose il vous faudra débrancher votre cerveau. Vous savez que ce n’est pas bon pour vous, mais vous vous dites, vas-y fais ce que tu as à faire et vous être pris au piège. Moi, je veux produire un autre type de pornographie, quelque chose qui parle aux femmes, où elles ont les rôles principaux et qui prend en compte leur plaisir." 

Depuis quelques années nous assistons à l’émergence d’une nouvelle vague de réalisations pornos produites par des féministes qui se donnent pour mission de changer notre regard sur la pornographie en lui proposant des alternatives éthiques. Car les féministes du porno se sentent concernées par les effets de la pornographie de masse sur les hommes, les adolescents et la qualité des relations homme-femme. Pour Erika Lust il est indispensable de poser une véritable réflexion sur la pornographie mainstream, ses conséquences, de savoir si c’est bon pour nous. Quelles sont les valeurs que les contenus pornos défendent et qui est derrière tout ça ? Elle en appelle à la responsabilité des consommateurs pour qu’ils deviennent des consomm'acteurs et commencent à se poser cette question fondamentale : "Qui a réalisé le film que je regarde ?" Pour répondre à leurs attentes, les premières féministes du porno ont commencé à réaliser des films qu’elles avaient envie de voir, des films où l’éthique et l’esthétique avaient droit de cité, mais aussi des films créatifs, artistiques, avec de vrais scénarios et une réelle démarche cinématographique. 

Le porno féministe se développe pour l’instant sur un marché de niche sans commune mesure avec celui de la pornographie de masse essentiellement consommée par les hommes. Cependant les débouchés pour cette nouvelle forme de pornographie pourraient rapidement se multiplier car il est maintenant admis qu’un nombre croissant de femmes ne seraient pas contre un peu de porno pour dynamiser leur libido, si tant est qu’il puisse ne pas se baser sur des scénarios faisant l’apologie de la violence, ne pas présenter une image dégradante et dégradée des femmes et prendre en compte la réalité des désirs et plaisirs féminins. C’est pourquoi l’un des objectifs du porno féministe est de présenter des scénarios sexuels en adéquation avec les aspirations féminines, plus réalistes en matière de pratique et surtout susceptibles d’être rejoués dans le secret de l’intimité.

Petite histoire du porno féministe.

En 1984, une ancienne hardeuse, Candice Vadala, se met en tête de trouver une alternative au porno de masse, persuadée qu’existe un marché pour une pornographie plus féminisée. Elle imagine que les films X pourraient célébrer la sexualité des femmes tout en apprenant à ces messieurs à devenir de meilleurs amants. Candida Royalle, de son nom de scène, a alors 34 ans, elle est "shot out", un terme spécifique au milieu qui signifie qu’une actrice a épuisé son capital audience, et elle sait qu’il est temps de tourner la page. Cette même année elle fonde "Femme Production"avec l’intention de renouveler le genre en mettant l’accent sur la qualité des scénarios, des acteurs et des dialogues.

Vadala intronise la notion de "positive sexual role modeling" qui traduit sa volonté de travailler en respectant l’intégrité morale et physique des actrices et de donner une vision plus enthousiasmante de la jouissance féminine. Dès son premier film Femme elle impose sa conception novatrice du porno en abandonnant le sempiternel "money shot" c’est-à-dire l’orgasme masculin décliné sous la forme d’une éjaculation répandue sur toute partie du corps féminin. Pour améliorer la distribution de ses films, elle crée en 1987 Femme Distribution. Les productions de Vadala qui se veulent sexy, dépeignent le plaisir des femmes dans les jeux de séduction, les préliminaires et le coït. Au-delà des thématiques qu’elle explore, comme l’érotisme tantrique en 1988 dans Rites of passion, Vadala impose une éthique de plateau censée donner aux actrices une liberté d’action et de décision lors des tournages.

En 2006, le porno féministe qui a conquis un nombre non négligeable de productrices, organise à Toronto son premier Feminist Porn Awards. Pour être qualifiés pour la compétition, les films doivent s’appuyer sur des scénarios contestant les stéréotypes tel celui qui veut que les acteurs de couleurs, trans, âgés, handicapés soient relégués aux productions fétichistes. De plus, le metteur en scène ne peut s’exonérer du consentement des actrices qui en tout état de cause choisissent librement les pratiques sexuelles qui leur conviennent. Enfin, les conditions de tournage sont obligatoirement saines et sécures. 

Candice Valada décède en septembre 2015 auréolée du titre honorifique de légende de la pornographie. Son action dans un monde jusqu’alors confiné dans les clichés machistes, a suscité des vocations. Nombre de femmes et de queers sont passés derrière les caméras avec le dessein de remodeler la fonction de pornographe en y ajoutant celles d’éducateur, d’auteur et d’activiste. Comme le disait l’ex-hardeuse, la pornographie féministe doit promouvoir un érotisme de qualité plutôt que mettre l’accent sur la transgression et la bestialité, redonner aux femmes le sentiment d’être en phase avec leur sexualité et aux hommes des films qu’ils peuvent partager avec leurs compagnes.

Le porno féministe une autre façon de produire le X.

La polarisation idéologique inhérente à la guerre des sexes continue de marquer les débats sur la pornographie. Pour les féministes, le porno mainstream est obstinément discriminatoire, fondée sur l’exploitation d’autrui et plus que rarement condamné pour les abus commis sur les plateaux de tournage. La génération de productrice qui a emboité le pas de Candice Vadala, dont font partie Courtney Trouble et Erika Lust, prend très au sérieux les problématiques des actrices et acteurs liées à leurs conditions de travail. Ainsi ces laudatrices de la pornographie éthique imposent des comportements professionnalisés en établissant des contrats dans lesquels les désirs des performeuses, les scènes qu’elles consentent à tourner, sont clairement stipulés. Bien que ces pratiques ne soient l’apanage que d’un petit groupe d’activistes il est clair qu’elles ouvrent le champ à une nouvelle façon de penser le métier. Car au-delà d’une formelle contractualisation de leurs engagements, les actrices et acteurs se voient prodiguer des conseils pour tourner chaque scène dans des conditions de sécurité optimales et sont informés de tous les risques inhérents à un acte sexuel particulier.

Si l’on en croit la réalisatrice Tristan Taormino, les questions de sécurité, de consentement et contractualisation sont au cœur des préoccupations des pornographes féministes. C’est ainsi qu’elles souhaitent que la protection des actrices et acteurs passe par la mise en place de cadre de travail réglementé et la possibilité pour eux de porter plainte en cas de non-respect de celui-ci. Cette nouvelle façon de penser le porno ne s’arrête pas aux limites du tournage stricto sensu. De nombreuses affaires d’abus sexuels en dehors des plateaux ayant secoué le petit monde du hard il était devenu nécessaire de renforcer les garde-fous protégeant en priorité les actrices contre les agissements malséants de certains hardeurs et producteurs confondant allègrement fiction et réalité. 

Travailler dans le monde du porno est loin d’être une sinécure et à la difficulté des tournages s’ajoute pour les actrices l’impossibilité d’effacer les stigmates d’une profession qui les définissent à vie comme des hardeuses. Parmi celles qui tentent de sortir du métier nombreuses sont celles qui reprennent les chemins des plateaux faute d’avoir pu échapper à un passé qu’internet ne cesse de remettre sur le devant. Une ancienne actrice américaine confesse : "Tout le monde ou presque savait que j’étais une star du porno et même si j’avais les qualités requises pour devenir une bonne vendeuse je n’ai essuyé que des fins de non-recevoir. En désespoir de cause j’ai repris du service dans le porno." Pour Tristan Taormino tout effort de déstigmatisation de la profession, qu’il soit le fait d’organisations féministes ou autre est nécessaire pour permettre aux anciens performers d’étendre leurs possibilités de réorientation professionnelle. 

Bien que l’industrie du porno ait subi de spectaculaires changements aux cours de ces trente dernières années, le public a finalement peu conscience des conditions de travail souvent lamentables des performers du X. Pour différentes raisons les personnes victimes d’exploitation ou d’agression sexuelle n’osent pas parler et encore moins porter plainte. Il en résulte, par exemple, qu’une actrice blessée, violée ou non rémunérée lors du tournage d’un film, se trouve entre le marteau de ses exploiteurs et l’enclume de la justice qui refuse de reconnaître les notions d’abus sexuel et d’exploitation dans ce milieu. Sous prétexte qu’une hardeuse vend des prestations sexuelles elle ne saurait donc avoir les mêmes garanties de protection contre les agressions sexuelles et bénéficier de conditions de travail sécures. Il est indéniable que tous les efforts pour faire évoluer un secteur d’activité contrôlé par de puissants industriels, maniant avec une habileté machiavélique l’argument de la liberté d’expression, doivent s’appuyer sur les études sérieuses consacrées aux dérives et pratiques exploitatives subies principalement par les actrices. 

Le porno féministe, un acte politique.

Les féministes contemporaines du porno mettent toute leur énergie et conviction pour changer la donne. Elles croient à juste titre que leur vision de la production d’un film X est importante non seulement parce qu’elle répond aux attentes féminines en matière d’érotisme mais surtout parce qu’elle questionne la représentation sous forme de fantaisie sexuelle des inégalités de genre omniprésentes dans le monde réel. Elles croient aussi que la popularité du porno offre de véritables opportunités pour challenger le racisme, le sexisme, les discriminations de classe sociale, l’exploitation, de porter une autre image de la femme, de son corps, de la sexualité et d’enseigner l’art de la relation intime. L’objectif suprême du porno féministe n’est-il pas de démontrer que le sexe peut être fun, respectueux, sain et gratifiant pour chacun des partenaires ?

L’angle de vue des féministes du porno ouvre des perspectives à un genre qui navigue entre ennui et médiocrité. De vrais scénarios dans lesquels les protagonistes ne semblent pas tous sortis du même moule, une retranscription des relations intimes plus érotique que sexuelle, un retour en grâce de l’artistique et de la qualité de réalisation, ne peuvent que réjouir toutes celles et ceux qui ne trouvaient rien de franchement excitant dans le porno mainstream. Cependant qu’il soit androcentré ou féministe le porno se heurte au même plafond de verre, celui au-dessus duquel se trouve l’indicible, l’ineffable de la relation intime, cette partie dont aucun mot, aucune image n’est en capacité de dépeindre la puissance émotionnelle. Si nous montrons un intérêt pour la pornographie féministe c’est avant tout pour sa dimension politique, sa capacité à porter un contre-discours aux pornographes phallocrates et leur vision caricaturale de la sexualité. Et dans le domaine, reconnaissons que les réalisatrices font montre d’un talent particulier pour démolir les stéréotypes déliquescents du porno de masse et offrir une plus juste perception de la fantasmatique féminine. S’il serait audacieux d’attendre du porno féministe monts et merveilles, nous pouvons toutefois nous persuader qu’il peut au moins endosser le statut d’éducateur érotique de nos adolescents et pour cela nous ne pouvons que soutenir la volonté de ses réalisatrices de sortir la représentation de la sexualité humaine du caniveau dans lequel les pornographes l’avaient jusqu’alors confinée.

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