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Sexualité : les problématiques de langage

Sexualité : les problématiques de langage

D’une manière générale, notre compréhension des faits sociaux en lien avec la sexualité est tributaire du champ lexical, qui peut, par exemple, produire plusieurs mots pour qualifier une même entité corporelle, mais un seul pour définir un ensemble de comportements sexuels hétérogènes.

Sexualité : les problématiques de langage

Entre amalgames et confusions

L'indigence du champ lexical dédié aux activités sexuelles fait obstacle à une analyse fine et distanciée de leurs problématiques. C'est un constat, les termes "sexualité", "pornographie", "obscénité", "érotisme" s'attachent à des concepts flous pourtant censés produire un discours intelligible par tout un chacun.

La sexualité ou les sexualités humaines ?

La sexualité est instinctivement reproductive. Si on a longtemps pensé que seule l'espèce humaine en avait développé un pendant hédoniste, on sait aujourd'hui que certains mammifères se livrent à des activités sexuelles sans rapport avec la procréation. C'est notamment le cas des bonobos qui détournent les récompenses sexuelles à des fins d’homéostasie sociale, enrichissant ainsi leur sexualité d'une extension culturelle. 

Chez les humains, le détournement de la récompense ne s’opère pas au privilège de la paix sociale, mais de la jouissance stricto sensu. La sexualité humaine se divise par conséquent en deux ensembles presque entièrement distincts, la sexualité reproductive et la sexualité érogène. Il existe d’ailleurs des spécialistes de l’une, gynécologues, obstétriciens et urologues, et de l’autre, sexologues et sexothérapeutes.

La sexualité érogène regroupe des techniques et gestuelles fléchées sur la recherche de la volupté et de l’orgasme. Cependant, elle ne constitue pas un tout homogène à propos duquel il est possible de discourir sans nuances car ses différentes orientations, Kinbaku, BDSM, tantrisme ou encore méditation orgasmique, ne partagent pas les mêmes modes opératoires.

Obscénité, pornographie, érotisme

La pornographie est un mot fourre-tout qui s’applique à toutes représentations de la sexualité érogène dès lors qu’elles contiennent des éléments d’obscénité, c’est à dire des éléments qui offensent la pudeur et la morale. Toutefois l’obscénité ne doit pas être la condition nécessaire et suffisante pour qualifier une revue, un film, de pornographique. Si la pornographie est obscène, l'obscène n'est pas immanquablement pornographique.

Étymologiquement, la pornographie renvoie à deux notions, celle de représentation, graphê, et celle de pornê, femme prostituée dont le corps objet est commercialisé pour assouvir les fantasmes d'une partie de la population masculine. Historiquement, la pornographie célèbre l'éjaculation, l'objectification du féminin et l'altération érogène du principe de consentement. Ainsi définie la pornographie se distingue plus aisément des autres modes de représentation de l'obscène et permet d'extraire du champ pornographique des œuvres d'art qui, bien que délibérément obscènes, offrent une vision magnifiée de la sexualité érogène.

L'érotisme est compris au sens commun comme une pornographie soft, dépouillée de ses attributs les plus explicites. Or l'érotisme n'est pas, contrairement à la pornographie, une représentation de l'obscène, mais une démarche intellectuelle, émotionnelle, sensible, un horizon à la sexualité reproductive. L'érotisme peut-être tantrique, kinbaku, romantique, BDSM et porno ! 

La confusion pornographique

En 2014, une émérite professeure en sciences du langage a produit un article intitulé : Sluts and goddesses. Discours de sexpertes entre pornographie, sexologie et prostitution. Sans juger de son intérêt, il nous a paru éclairant de montrer, à titre d'exemple, comment le concept nébuleux de pornographie induisait la production d'un discours imparfait et ambigu. 

La pornographie, une forme culturelle ?

Dans son troisième paragraphe on peut lire : " La pornographie est désormais sortie des cadres clandestins puis marginaux dans lesquels elle a longtemps été contenue pour se développer et se manifester pour ce qu'elle est désormais [...] une forme culturelle importante et même fondatrice de la vie des humains en société." Si l'on s'accordera sur l'idée que la pornographie a (sous l'influence d'un lobbying bien orchestré) gagner en visibilité, voire en acceptabilité, elle n'est jamais entièrement sortie de la clandestinité. Car le phénomène pornographique comporte, depuis les années 70, une partie visible, commercialisable, et une partie cachée, "avant-gardiste", destinée aux pornophiles les plus exigeants via un marché parallèle. Les productions les plus corsées qui, cinquante ans en arrière, s’échangeaient sous le manteau, se partagent maintenant sur le dark web. 

Les nouveautés pornographique, autrement dit les productions qui ont upgradé leur niveau de violence et de transgression, se propagent suivant un processus bien établi. Apparaissant d'abord dans les milieux interlopes, elles s'en extraient peu à peu pour rejoindre insidieusement la sphère du commerce légal. Ce fut le cas des vidéos centrées sur le viol, l'inceste ou la pédophilie, hier confinées dans l'underground, aujourd'hui placées en tête de gondole des love-shops et sites pornos.

Si la pornographie aura toujours une partie immergée, clandestine, on reconnaîtra cependant qu'au 21ème siècle la société s'est pornifiée, qu'elle en accepte, valide et reproduit les codes. Pour autant peut-on affirmer qu'elle est désormais une forme culturelle importante et fondatrice de la vie des humains en société ? Selon l'UNESCO la culture est l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Au regard de cette définition on comprend difficilement comment la pornographie pourrait servir de base à l'émergence d'une communauté culturelle, le genre étant composé d'entités hétéroclites générant des publics qui n'ont en commun que le goût de l'objectification du corps féminin et des pratiques masturbatoires. 

Pornographie, émancipation et autonomisation du désir

Plus loin dans l'article est repris l'argumentaire des féministes pro-sexe qui bien qu'ayant « conscience de la violence de la pornographie mainstream, refusent de considérer l’activité comme ontologiquement violente et dégradantes […] et affirment que son interdiction serait structurellement insultante envers les femmes et ce au nom de la libération des femmes et de l’autonomisation de leur plaisir ». À nouveau, le mésusage du concept pornographique porte à confusion. Car si le féminisme pro-sexe défend le droit à produire des films à caractère obscène, en persistant à les regrouper sous l'appellation pornographie il est impossible de comprendre qu'en réalité il est question de réalisations qui, exemptes de violences machistes, cherchent à promouvoir une sexualité érogène où le corps féminin n'est pas un corps prostitutionnel. Les réalisations des cinéastes féministes sont in fine, dans leurs intentions, anti-pornographiques et en ce sens elles peuvent mûrir le dessin de défendre la libération et l'autonomisation du plaisir féminin.

L'atrophie de la pensée critique

D’une manière générale, notre compréhension des faits sociaux en lien avec la sexualité est tributaire du champ lexical, qui peut, par exemple, produire plusieurs mots pour qualifier une même entité corporelle, mais un seul pour définir un ensemble de comportements sexuels hétérogènes. L’atrophie du vocabulaire induit une atrophie de la pensée critique dont les pornographes tirent le meilleur parti au contraire des d’artistes qui s’aventurent sur les terres de la sexualité érogène. La plasticienne américaine, Betty Tompkins, a dû attendre la fin de sa carrière avant de se voir offrir des expositions à la hauteur de son talent. Centrées sur un détournement subtil de l'iconographie pornographique, ses "Fuck Painting" auraient eu un autre sort si les galeristes et critiques d'art n'avaient confondu l'obscène et la pornographie.

Dans l'idéal il s'agirait d'amender le champ lexical de néologisme à même de concourir à un meilleur examen des problématiques sexuelles, à défaut d'être au moins précis dans l'emploi des termes existants.

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