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Les sexbots, les artifices pathétiques du féminin

Les sexbots, les artifices pathétiques du féminin

L’extension du marché des poupées sexuelles, entre 10 et 20% de croissance ces dernières années, le nombre grandissant des utilisateurs et utilisatrices de sextoys, posent de nombreuses questions quant au devenir de la sexualité du plaisir. Assisterons-nous à une généralisation progressive de la sexualité masturbatoire, à l’instar de celle en cours au Japon ?

Les sexbots, les artifices pathétiques du féminin

Des poupées sexuelles de chiffons aux sexbots : l'histoire d'une sexualité masturbatoire. 

Au 17ème siècle les membres d’équipage de la marine hollandaise prennent l’habitude d’emmener avec eux des « dames de voyage », des poupées à vocation sexuelle confectionnées de bouts de chiffon et de cuir, pour agrémenter leurs périples au long cours. Peu à peu, la pratique se répand et tous les bateaux de la flotte européenne accueillent dans leur cale, des « dutch wifes » ou « épouses hollandaises ». Baptisées ainsi par les anglais, ces lointaines ancêtres des sexdolls, ne sont pourtant pas d’invention typiquement hollandaise, mais d’inspiration orientale. En effet lors de leurs expéditions en Asie du Sud-Est, les marins hollandais ont découvert une pratique surprenante : pour tempérer la chaleur des nuits d’été, les dormeurs asiatiques placent entre leurs bras et cuisses des cages de bambou tressé de formes oblongues, au nom étrange « d’oreillers à câliner » ou encore « d’épouses et dames de bambou ». Mais si leur fonction première est bien réelle, il appert que ces objets en ont une autre, plus intime et surtout plus intéressante aux yeux des marins hollandais. 


Le dormeur et son "épouse de bambou".

La fabrication et l’usage des artefacts sexuels à des fins masturbatoires, qui n’est donc pas un fait contemporain, se développera au début du 20ème siècle avec l’utilisation croissante du caoutchouc vulcanisé. Le sexologue Iwan Bloch rapporte en 1906 avoir connaissance d’habiles mécaniciens qui élaborent à base de caoutchouc et d’autres matières plastiques, des corps de femmes et d’hommes, pourvus d’organes génitaux plus vrais que nature, qui comme les « épouses hollandaises » sont dédiés à la fornication. Ces artisans, de véritables Vaucanson selon ses dires, poussent le soucis du détail jusqu’à insérer dans ces jouets lubriques un tube pneumatique rempli d’huile pour simuler les sécrétions des glandes de Bartholin, ou de fluides appropriés pour contrefaire l’éjaculation de sperme. 

Toutefois c’est dans la France de la Belle Époque, à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris de 1900, que sont vendues les premières poupées gonflables en caoutchouc. Produites en petite série, et proposées sous le manteau aux riches visiteurs, elles ne sont pas accessibles à toutes les bourses. En 1902 le quotidien « Gil Blas » relate l’arrestation d’un vendeur ambulant, un téméraire camelot, surpris en flagrant délit de distribution de «  prospectus annonçant la vente de femmes en caoutchouc au prix de 2.000 francs ! » Assigné à comparaître devant la neuvième chambre correctionnelle, il sera condamné à trois mois de prison pour outrages aux bonnes mœurs. Mais si les autorités sanctionnent, les journaux de l’époque préfèrent s’en amuser. Ainsi « L’Intransigeant » fait paraître en janvier 1902 un article intitulé « La traite des…poupées ». Il y est question d’un certain monsieur B, industriel, persuadé de faire fortune dans le commerce de ces fameuses poupées de caoutchouc. Le journaliste écrit : « Vous lui envoyez la photographie de la dame de vos rêves, vous y joignez deux ou trois mille francs, et quelques temps après, dans une superbe boîte, vous recevez, grandeur nature et absolument nature, une femme en caoutchouc ressemblant traits pour traits à la photographie envoyée. Et vous voilà possesseur d’une épouse aussi charmante et docile qu’éminemment fidèle : le bonheur, quoi !...Eh bien ! le croiriez-vous ? Le Père La Pudeur a failli en avoir une attaque quand communication lui fut donnée du prospectus de l’industriel en question, et bien vite des poursuites furent engagées, qui aboutirent à la condamnation de M.B… à trois mois de prison, avec sursis, et 2.000 francs d’amende. » Affaire réglée !


Les premières poupées à gonfler en caoutchouc.

Durant la seconde guerre mondiale, les états-majors des armées allemande et japonaise semblent avoir eu recours aux poupées gonflables pour soutenir le moral des sous-mariniers et marins. La légende voudrait par ailleurs qu’entre 1940 et 1942, Himmler ait porté le projet de leur fabrication massive pour lutter contre la propagation de la syphilis dans les rangs des soldats allemands basés en France. 

Au rang des anecdotes, se trouve celle impliquant Oskar Kokoschka, un portraitiste expressionniste autrichien, et Alma Mahler la veuve du compositeur éponyme. L’artiste est éperdument amoureux, mais après trois ans d’idylle, c’est la rupture. Désespéré, ne sachant comment se remettre de la séparation, il lui vient l’idée de faire fabriquer une poupée à l’image de sa bien-aimée. Poupée qu’il veut si réaliste qu’elle abusera ses sens. C’est à une costumière de théâtre et conceptrice de marionnette qu’il confie l’épineux challenge de créer un être de chiffon plus humain qu’humain. Bien qu’il soit convaincu que le miracle sera au rendez-vous, la vie le rappelle à la réalité le jour de la réception, la poupée n’est qu’une vague et triste imitation de sa tendre et chère Alma... L'histoire veut qu'elle ait fini décapitée lors d’une soirée particulièrement arrosée.


La fameuse Alma.

Au tournant des années 1970, avec l’utilisation du vinyle et du latex, le marché des poupées gonflables prend la dimension d’un business démocratisé. Tous les sex-shops en proposent et pour ceux qui hésitent à franchir leurs portes, les sociétés de vente par correspondance se chargent de les livrer à domicile en toute discrétion. Toutefois, d’une apparence peu engageante, voire franchement terrifiante, ces poupées ne contentent que les irréductibles queutards et une poignée de fétichistes. Pour séduire une plus large clientèle, les fabricants savent qu'il leur faudra rendre ces poupées plus réalistes. Ce sera chose faite avec le moulage en silicone. En 1996, la société américaine Abyss lance la RealDoll, la première poupée sexuelle moulée contenant un squelette articulé. Si le succès commercial est freiné par les quelques 8000 dollars qu’il faut débourser, la poupée de silicone s’impose comme une révolution dans le domaine des objets masturbatoires et fait nombre d’émules parmi les fabricants. Dès lors, la concurrence, sur ce qui reste un marché de niche, pousse à l’innovation et à la guerre des prix. Les élastomères thermoplastiques (TPE) remplace le silicone trop onéreux et surtout les fabricants se tournent vers la personnalisation des poupées. Ainsi le client peut choisir, couleur des cheveux, des yeux, de la peau, taille et forme des seins, de la bouche, des organes génitaux, etc., il n’y a pas de limite. 


La poupée gonflable type des années 70.

La quête du réalisme : illusion et vanité.

Aujourd’hui les évolutions se pensent en termes d’intelligence artificielle. L’arrivée sur le marché des premiers robots sexuels, les sexbots, capables de simuler des bribes d'interactions émotionnelles, datent d’une dizaine d’années. Mais compte-tenu des progrès de l’AI, de la révolution quantique à venir, les perspectives de créer de vrais humanoïdes, capable d’apprendre de nos comportements, de faire preuve d’empathie et d’émotions sexuelles, voire d’anticiper nos fantasmes, ne sont plus des délires de science-fiction. Il est certain qu’à l’horizon 2040 les relations sexuels entre les humains et les machines se seront banalisées. Il est d’ores et déjà constaté que certains hommes, notamment au Japon, se sont littéralement entichés de leur sexbot, les considérant comme des compagnes de vie à part entière. Étrange ? Pas tant que ça, car nous disposons d’une évidente faculté à anthropomorphiser, c’est-à-dire à nous représenter ou concevoir une chose, un objet, sous la forme, avec les traits et l'âme d’un être humain.

Cette capacité à projeter de l’humain dans l’inanimé se manifeste au travers des jeux et dialogues que les enfants élaborent, dès leur plus jeune âge, avec leur jouets fétiches. Et le processus est d’autant plus aisé lorsque la chose ou l’objet est par nature anthropomorphique. Toutefois il faut remarquer que l’humanisation des objets ne s’accompagne jamais d’un désir de leur conférer un tant soit peu d’autonomie de penser et d’agir. En tout état de cause ils sont appréhendés comme une idéalisation de l’autre soumis aux désirs et caprices. C’est donc une relation à sens unique qui s’établit entre l’objet anthropomorphisé et l’enfant. Une relation confortable et sécurisante où le tiers est un être obéissant et prévisible. Tout le contraire de la vie réelle. Et c’est certainement ce que recherchent les adultes dans leurs rapports avec les sexbots : échapper aux contraintes du réel pour vivre une relation sexuelle « idéalisée » où l’autre en état de soumission permanent épouse naturellement attentes, désirs et fantasmes. Pour les hommes dont la fonction érotique se résume à la gestion de l’échec, échec induit par un défaut de maîtrise de l’éjaculation ou/et de l’érection, la sexbot qui n’a pas d’exigence propre est un faire-valoir parfait. Toujours satisfaite, elle offre à son propriétaire la pure illusion de la maîtrise, que demander de plus ? 


La sexbot.

Et ceux qui ne goûteraient guère l’immanquable soumission de la sexbot, pourront se réjouir de la commercialisation d’une version programmée pour se refuser, une sexbot destinée à l’assouvissement des fantasmes de viol, ni plus ni moins. Si les fabricants n’y voient que l’expression d’une fantaisie érotique, sans danger de passage à l’acte, nous émettrons de sérieuses réserves. En premier lieu, nous ne pouvons écarter le risque de normalisation, de banalisation d’un comportement sexuel humainement, moralement et socialement inacceptable, une validation tacite du viol devenu par l’entremise des sexbot une pratique sexuelle comme une autre. Ensuite, en référence aux études faites sur l’altération du circuit de récompense en lien avec la consommation de pornographie, il est logique d’imaginer que le violeur de sexbot puisse se lasser sur le long terme de simulacres d’agression et chercher le renouvellement de son l’excitation psychique dans le réel. 

Objectification des corps féminins et déshumanisation de la sexualité.

Cette conception des rapports sexuels construite sur l’objectification du corps des femmes, qui rappelle celle que partagent pervers et pornographes, est le principal moteur érogène des comportements sexuels entre humains et poupées sexuelles, qu’elles soient faites de bouts de chiffons, gonflables, en silicone moulée, dotées ou non d’intelligence artificielle. D’ailleurs leur déclinaison en mode réduit, c’est-à-dire dépourvu de jambes, bras et tête, témoigne par l’absurde d’une implacable volonté de réduire la femme à ses seules et uniques fonctions coïtales, une objectification radicale, amputée de toute humanité physique, émotionnelle et spirituelle. 


Sans commentaire.

L’extension du marché des poupées sexuelles, entre 10 et 20% de croissance ces dernières années, le nombre grandissant des utilisateurs et utilisatrices de sextoys, posent de nombreuses questions quant au devenir de la sexualité du plaisir. Assisterons-nous à une généralisation progressive de la sexualité masturbatoire, à l’instar de celle en cours au Japon ? La sexualité est-elle devenue si effrayante, si contraignante qu’il devient préférable de la partager avec des objets hi-tech ? La dictature de l’orgasme, qui impose aux couples une obligation de résultat en lieu et place d’une obligation de moyen ; la pornification des comportements sexuels, qui corrompt la sexualité du plaisir par la violence, la dégradation, l’humiliation et la déshumanisation ; ou encore l’individualisme forcené, accordant la primauté au Moi, ne sont-ils pas les principaux facteurs du désamour croissant des émotions érotiques partagées ? 

Les anticipations transhumanistes, qui laissent entendre que les robots sexuels remplaceront avantageusement nos partenaires, démontrent une altération de la conception du processus érotique réduit au seul temps de la rencontre génitale. Peut-être est-ce précisément parce qu’ils ne comprennent pas que l’érotisme de couple s’alimente d’une relation riche d’expériences autres que sexuelles, que les transhumanistes placent tous leurs espoirs dans les machines à baiser. Encore une fois, il s’avère que le progrès technologique n’est plus synonyme de progrès au sens holistique du terme, qu’il génère plus de calamités que d’espoirs et qu’il est peut-être temps de remettre l’humain au cœur de nos préoccupations.

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