Sphère sociétale

#lundi14septembre : Mesdemoiselles, tenue décente exigée !

#lundi14septembre : Mesdemoiselles, tenue décente exigée !

#lundi14septembre 2020, une poignée de lycéenne initie une journée de contestation contre les injonctions qui leur sont faites de se présenter à l'école en tenue « décente », au risque de s'en voir refuser l'accès. Cette opération soutenue par certains mouvements féministes ainsi que par Marlène Schiappa, déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, chargée de la Citoyenneté, pose la question du regard qu'il serait normal ou non de porter sur les femmes.

#lundi14septembre : Mesdemoiselles, tenue décente exigée !

La beauté est dans l’œil de celui qui regarde, l'indécence également.

Depuis quelques temps, les établissements scolaires semblent souffler un vent de bigoterie sur leurs élèves féminines, les renvoyant chez elles revêtir des tenues « décentes » lorsqu’elles se présentent à l’école en short, jupe ou tee-shirt jugés trop courts. Exaspérées par ce qu’elles considèrent être un énième coup de semonce porté à leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent, quelques lycéennes ont lancé à leurs camarades un appel à la résistance, les invitant à se rendre à l’école le #lundi14septembre 2020, en « tenue indécente et provocante », reprenant ainsi la rhétorique utilisée contre elles. Nombre de jeunes filles ont répondu à l’appel, exagérant volontairement le caractère sexualisé de leurs tenues. Shorts et jupes ultra-courts, décolletés plongeants, furent donc au rendez-vous du 14.


Elèves du lycée de Borda

Emboitant le pas au collectif #NousToutes et confortées par Marlène Schiappa s'exprimant « en tant que mère, ... avec sororité & admiration », un certain nombre de féministes ont alors relayé l’évènement du #lundi14septembre, et parfois encouragé leurs propres filles à se joindre à leurs camarades, faisant même pour certaines, un rapport détaillé du déroulement de cette journée qu’elles postèrent fièrement sur les réseaux. L’on peut encore y lire des réactions diverses, parfois virulentes, des arguments pour ou contre plus ou moins pertinents, certains hors-sujet. Les divers courants, comme toujours, s’affrontent mais parfois sans discernement des enjeux profonds, à savoir la portée réelle, à court, moyen et long terme, que peut avoir pour ces femmes et lycéennes « le droit de s’habiller comme elles veulent » en tous lieux et en toutes circonstances. En creusant un peu la question, on racle rapidement au fond du pot, là où macèrent depuis des siècles, les deux principaux vecteurs des violences faites aux femmes : leur pornification ou leur sanctification, les deux concepts répondant à des « normes » inversement proportionnelles.

Le débat ne peut que se fragmenter et perdre de sa force pour se diluer dans les divers jus idéologiques s'en saisissant. Car lorsque des femmes se réclamant du féminisme, enjoignent leurs congénères d’adopter les codes-mêmes qu’elles combattent pour s’émanciper des diktats du patriarcat, quelque chose ne tourne plus rond. De façon équivalente, d’autres féministes encouragèrent certaines musulmanes à garder leur voile, symbole par excellence du contrôle sexuel exercé par les hommes sur le corps des femmes, par nature « tentatrices » et responsables de leurs plus bas instincts. En d’autres termes, de la « décence » des unes comme des autres dépendraient l’ordre et la paix sociale, eux-mêmes dépendant de la capacité des hommes à contenir leurs pulsions sexuelles. Le regard masculin lui, n'est pas mis en cause, encore moins inquiété, il est victime de sa « nature ».

Qu’est-ce qu’une tenue « décente » en 2020 ?

Nous sommes bien d’accord pour dire que la décence – définie comme étant le respect des normes morales et des convenances, notamment en matière sexuelle, dans la tenue, les actes et les paroles (CNRTL) – est un concept d’ordre socio-culturel, subjectif par nature. En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, l’adjectif « décent », lorsqu’il décrit une tenue vestimentaire ou un comportement, est surtout utilisé à l’endroit des femmes susceptibles de heurter la « pudeur des braves gens ». Des hommes, pour les mêmes motifs, on exigera une tenue « correcte », voire rien du tout.

Objectivement, si en 2020 l’on se réfère aux normes morales et convenances de notre pays telles que décrites par la définition du CNRTL, une jeune fille portant une tenue ostensiblement sexualisée, devient « indécente », « provocante », voire même selon le lexique de la culture du viol, « provocatrice ». Ce fut le prétexte avancé par l'administration du Lycée de Borda et de plusieurs autres pour interdire le port de jupes et de crop top, par crainte que les garçon ne soient « déconcentrés » à la vue d'une parcelle de peau féminine. Ce fut le deux-poids-deux-mesures de trop.


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Injonctions contradictoires et jugements sexistes : la « bonne longueur » pour la jupe.

Cette hypocrisie sociale consistant d’un côté, à banaliser les codes porno-prostitutionnels et de l’autre, à sanctionner leur influence sur les tenues vestimentaires des femmes et des adolescentes – quand ce n’est pas des petites filles – ne s’arrête pas à sa propre contradiction, elle ouvre la voie royale aux fanatismes de tous poils. En témoigne le nouvel hashtag « #GardeTonVoile » lancé en réaction à l’appel des lycéennes du #lundi14septembre par des prosélytes proches de l’idéologie islamiste des Frères musulmans, qui ont su attraper la balle au bond et s’inviter une fois de plus dans le débat public. L’opportunité légitimée par le concept moral de « décence » n’a pas échappé à cette frange de l’islamisme politique, rompue à l’exercice du double plaidoyer victimaire laïcité/féminisme, systématiquement utilisé pour imposer sa vision obscurantiste de la pudeur féminine, et qu’il réussit l’exploit d’élever au rang de féministe. La fin de non-recevoir est double également : la référence à la laïcité est nulle et non-avenue puisqu’il ne s’agit pas d’une question religieuse ; celle au féminisme via le droit des femmes à s’habiller comme elles veulent est d’emblée disqualifiée par le sens et l’origine-même du voilement qui, vu par la lorgnette islamiste, distingue les femmes « respectables » de celles qui ne le sont pas, toujours aux yeux... des hommes.

Quelles valeurs l’Éducation Nationale est-elle chargée de transmettre à nos enfants ?

Il s’agit d’abord des valeurs de la République, parfois inscrites sur les façades des établissements : « Liberté, Égalité, Fraternité ». L’École publique a vocation à préparer les jeunes à leur vie socio-professionnelle et les armer face aux dures exigences du marché du travail. Elle est aussi chargée de transmettre des valeurs humanistes comme la tolérance et le respect des orientations sexuelles, de l’origine ethnique, ainsi que la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public. Il lui faut donc se référer aux normes sociales en vigueur pour déterminer les critères à partir desquels il sera possible de mesurer la taille d’une jupe ou d’un tee-shirt en-deçà de laquelle une élève manquerait à son obligation de porter une tenue « décente ». Or, l’échelle de mesure de la décence d’une tenue féminine diffère d’un établissement à un autre. C’est là que le bât blesse, et à plusieurs titres.


Une morale manichéenne au centre de la polémique.

Au temps de la blouse ou de l'uniforme scolaire, s’est substitué celui des codes sociétaux dominants, capitalistes, phallocentrés et par conséquent sexistes. De nos jours, l'épée à double tranchant de ce sexisme consiste à porter un jugement de valeur morale sur la façon dont une femme ou une jeune fille doit soigner son image pour être, soit « désirable », soit « respectable », une dichotomie des injonctions subies par la gent féminine qui répond aux sempiternels critères judéo-chrétiens de la « sainte » et de la « prostituée », repris à son compte par l’intégrisme musulman. Mais quoi qu’il en soit, le centre de toutes les exigences reste invariablement le corps des femmes sur lequel se livrent toutes sortes de luttes de pouvoir.

La question est d’ordre anthropologique et sociologique. Pourtant, l’école ici se retrouve à devoir résoudre une problématique que l’Exécutif lui-même échoue à solutionner. La loi du 15 mars 2004 censée encadrer, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (1), reste timidement appliquée, quand elle n’est pas ouvertement enfreinte. Quant aux diverses approches du principe de décence, elles sont en dissonance avec les courants socio-culturels actuels en plus de n’être soumises à aucune autre législation que celle du règlement intérieur propre à chaque établissement scolaire, en dépit de la prétention de l’État d'y promouvoir le principe d’égalité des sexes.

Légalement, une lycéenne peut se rendre à l’école dans la tenue qu’elle souhaite, dès-lors qu’elle n’enfreint pas la loi en matière d’exhibition sexuelle, conformément à l’article 222-32 du Code pénal. Objectivement, elle ne peut s’affubler d’une tenue de stripteaseuse pour se rendre au lycée ou au travail sans en subir les conséquences. Contrairement à ce que l'ont prétendu certains de leurs détracteurs, cette question de simple bon sens n'a bien sûr pas échappé aux lycéennes ayant pris part à cette action. Il ne leur a pas non plus échappé que derrière les injonctions à porter une tenue décente, c'est tout un pan du combat féministe qui est ébranlé.

Le nerf de la guerre réside dans la nécessité de changer les regards portés sur les femmes, y-compris ceux des femmes elles-mêmes.

L’impasse générée par la notion de décence est indiscutable et plus on avancera dans la polémique, plus on s’éloignera du sujet réel et non moins sous-jacent : quelle place donner à la culture porno au sein de ces normes morales et convenances définissant notre société ? Mais cette question intime ne concerne que femmes elles-mêmes, et ne doit certainement pas se poser via le prisme libidineux des hommes. Si l’on peut raisonnablement affirmer qu’une jupe courte, un short ou encore un croc top portés par fortes chaleurs ne constituent pas un accoutrement porno, le glissement peut être subtile dans l’œil lubrique de celui qui regarde. À ce titre, une jupe courte, un jean moulant ou un string dépassant ostensiblement de celui-ci, évoqueront immanquablement la pornification des femmes. Cette essentialisation du Féminin est-elle une revendication féministe ? Est-ce même celle des lycéennes à l’origine de cette journée du 14 septembre ? Certes non.


La lutte derrière l’invitation du #lundi14septembre à se rendre au lycée en « tenue provocante et indécente », consiste à dénoncer le regard systématiquement désapprobateur porté sur les femmes, dès-lors qu’elles cessent ou semblent vouloir cesser de répondre aux injonctions, quelles qu’elles soient, de la société. Une lutte encore nécessaire au regard des faits divers ayant choqué l’opinion durant l’été 2020, et qui n’est pas circonscrite aux seuls établissements scolaires, publics ou professionnels. Lorsque sur une plage, la police ordonne aux estivantes bronzant en maillot de bain topless de se vêtir, elle n’applique par la loi qui elle, l’autorise, elle commet un abus de pouvoir caractérisé en vertu de la protection de la « pudeur » des plaignants. Un musée dont le personnel interdit l’accès à des femmes au prétexte qu’elles affichent un décolleté plongeant contrevient à leur liberté acquise au prix de luttes acharnées. Dans pareil contexte, le clash idéologique était inévitable et bien que contestable à certains égards, salutaire.

1 - Bulletin officiel du 27 mars 2004

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