Vous avez dit " Mal baisée " ?

Mal baisée : une injure sexiste ordinaire.
Ce n'est pas comme s'il n'y en avait pas d'autres, mais celle-ci, on peut dire que c'est une pépite du genre, au propre comme au figuré ! On connaît déjà les injures grossophobes, jeunistes, capilo-centrées, les histoires de blondes, et plus généralement les blagues à la Bigard et leurs "lâchers de salopes", sans oublier les réflexions menstru-orientées, "Qu'est-ce que t'as, t'as tes règles ?" Mais quand on y pense, pour les mal baisées c'est franchement la double peine. Non seulement elles sont supposées être sexuellement insatisfaites, mais en plus on leur en fait le reproche, à elles !
Une femme doit toujours sourire à la vie !
Le cortège de prérequis de la femme moderne n'en finit pas de s'allonger depuis le MLF et l'émancipation des femmes : "Sois belle et tais-toi", "il faut souffrir pour être belle", "femme au volant, mort au tournant" et consorts, on connaissait déjà. Mais aujourd'hui, pour être libérée, une femme doit être socialement et professionnellement indépendante (mais pas trop quand même), elle doit être intelligente (mais pas trop non plus), féministe et "féminine", entendre : porter des jupes courtes, des talons de 10 cm minimum, être toujours parfaitement épilée, coiffée, maquillée et lutter activement contre les stéréotypes de genre et l'objétisation des femmes, de quoi devenir skyzo. Elle doit être sexy, mais pas vulgaire, chienne mais distinguée, filiforme mais gourmande. Mais surtout, une femme doit toujours sourire à la vie sinon, le jugement est sans appel et la sanction immédiate : c'est une mal baisée !
Mal baisée ? Ah oui, et par qui ?
Elle interroge quand même cette expression, parce que si une femme est effectivement mal baisée, c'est généralement par un mauvais baiseur, non ? Mais en creux, le message (pas très subliminal) qu'on veut faire passer, c'est que le pauvre bougre ne doit pas être très motivé à "bien baiser" une femme pareille... et on le comprend ! Désagréable parce que mal baisée ou mal baisée parce que désagréable, peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. L'insulte est résolument sexiste, définitivement malveillante et d'une stupidité achevée. Une insulte, oui ! Qui dirait le contraire ? Pourtant, me revient en mémoire l'affaire de l'élue toulousaine, Yvette Benayoun-Nakache, alors Députée de la Quatrième circonscription de la Haute-Garonne qui lors d'un conseil municipal tenu en mars 1998, s'était vue traitée de "sale juive, d'hystérique et de mal baisée" par un élu du Mouvement national, le docteur Jean-Pascal Serbera. L'affaire portée en justice avait abouti à une ordonnance de non-lieu, prononcée par le juge Rives qui, dans la liste de ses attendus, s'essayait à une prose pour le moins glissante :
Attendu que s'agissant du terme "mal baisée, il ne peut en lui-même être considéré comme injurieux, sauf à nier l'évolution des moeurs de notre société et les avancées majeures de celle-ci, dues à l'influence des combats féministes auxquels, par ses positions politiques publiques, la partie civile a elle-même participé.
En clair, le magistrat, visiblement très au fait des questions féministes, nous explique que "mal baisée" ce n'est pas une injure, du moins que ça n'en n'est plus une, compte tenu de l'évolution des moeurs (sic!) de notre société et des avancées majeures (re-sic !) de celle-ci obtenues grâce aux combats féministes auxquels Yvette Banayoun-Nakache a participé. En d'autres termes, grâce aux grandes évolutions de la société en matière d'égalité des sexes et de respect des femmes, il est tout à fait acceptable de traiter une femme de mal baisée, à fortiori une femme politique féministe engagée. Corrigez-moi si je me trompe, mais en ce qui me concerne, je lis plutôt "Vous avez voulu la guerre des sexes, vous l'avez !" Et le juge de se livrer plus loin à des variations médico-légales sur le terme d' "Hystérique". Vous et moi l'avions peut-être oublié, mais l'hystérie est une maladie mentale féminine (intimement liée à l'utérus), enfin elle l'est toujours pour ce magistrat qui ne voit dans l'invective du docteur Serbera, que la manifestation d'une bien légitime déformation professionnelle.
Au regard de la qualité professionnelle du mis en examen, le terme reproché d'"hystérique peut s'analyser en un simple tableau clinique descriptif d'un sujet manifestement emporté au cours d'une joute verbale et ayant perdu tout sens de la mesure.
Le tableau clinique descriptif du sujet Fabrice Rives lui, nous renverrait plutôt au florilège d'invectives sexistes qui traversent les âges et bravent toutes les "avancées majeures de notre société", avec pour figure de proue, l'emblématique "Toutes des salopes !" Cette affaire dans un premier temps n'a fait l'objet d'appel ni de la part du parquet, ni même de celle de la plaignante. Torpeur aoûtiste ? Pas pour le mis en cause qui, non content de cette brillante victoire, attaquera Yvette Banayoun-Nakache en dénonciation calomnieuse ! Il sera débouté le 6 avril.
Mal baisée, une injure sexiste qui ne date pas d'hier.
Vous souvenez-vous du temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître où existait en France le qualificatif (non moins dépréciatif) de "vieille fille" ? À l'époque, une femme vierge et non mariée était considérée vieille fille l'année de son 25ème anniversaire, où le 25 novembre, elle "coiffait Sainte Catherine". Pour celles et ceux qui ont encore quelques vagues souvenirs d'une époque où chaque contrée comptait son lot de "vieilles filles" comme chaque village son "idiot", le glissement sémantique de vieille fille à mal baisée était d'une facilité confondante. Coiffer Sainte Catherine, c'était la dead line de respectabilité des femmes célibataires, croyance que l'imaginaire collectif entérinait dès que s'en présentait l'occasion en y accolant le stéréotype de la femme jalouse, aigrie, méchante, mal baisée parce que... pas encore mariée ! Maintenant ce sont les féministes qui sont pour quelques irréductibles machos (et aussi quelques femmes), les mal baisées de notre temps. En finirons-nous jamais avec cette expression ? Tant qu'il y aura des femmes, répondront les misogynes ou les fatalistes qui oublient qu'elle pourrait tout à fait témoigner d'un volte-face des mentalités pour lesquelles une femme ne serait mal baisée que parce qu'elle viserait un idéal érotique et amoureux supérieur. Elle pourrait surtout faire référence à la banalisation mortifère des comportements hérités de la pornographie avec son cortège d'humiliations, de haine et de violences où les scénarios posent gravement la question : comment une femme peut-elle être plus "mal baisée" ? Psychologie inversée ou féminisme radical ? Question de point de vue..
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