Viol au cinéma ou la flatterie des goûts malsains
La narration du viol, qu'elle soit enrobée de justifications informationnelles ou artistiques, n'a d'autres intérêts que commerciaux.

De l'exploitation éhontée des violences sexuelles
En 1888, le quartier londonien de Whitechapel devient le théâtre d'une série de meurtres sadiques à connotation sexuelle. Perpétrés par un énigmatique éventreur, particulièrement monstrueux, ces crimes vont faire l'objet d'une médiatisation internationale sans précédent. Mais la mission d'information dont se targuent les journaux de l'époque cache une réalité moins glorieuse : le potentiel commercial de la fascination du public pour les crimes sexuels et les féminicides.
Cette fascination morbide que l'on doit comprendre comme une excitation psychique née de l'expérience trouble, troublante du dégoût, sera exploitée par les journalistes, les romanciers puis au XXème siècle par les cinéastes. Mais pour s'assurer un succès commercial il s'agit d'être subtil. Car personne n'osera avouer, ni s'avouer, à moins d'être pervers au sens psychiatrique, que l'intérêt trouvé, à la lecture d'un fait divers, d'un roman, ou en regardant un film, centré sur le viol, la barbarie sexuelle, est de nature morbide. C'est pourquoi afin de disculper l'excitation du lecteur, du spectateur, il est nécessaire d'enrober le propos liminaire d'oripeaux informationnels ou artistiques.
Ainsi, le viol assure à ceux qui s'en servent de base scénaristique une audience d'autant plus large qu'il est intégré dans une œuvre d'art portée par des artistes reconnus comme tels par la critique. Lorsqu'en 1972 Bernardo Bertolucci révèle au public son sixième opus, Le Dernier Tango à Paris, il se doute bien qu'il va défrayer la chronique et s'assurer une renommée planétaire. Car est incorporée dans son scénario une scène transgressive, un viol par sodomie, qui bien que simulé, est pensé comme une véritable agression sexuelle. Bertolucci dira plus tard qu'il souhaitait capter une réaction de fille humiliée, par exemple lorsqu’elle (l'actrice Maria Schneider) hurlait non, non !” . Le public (masculin ?) en redemande et s'ouvre avec Le Dernier Tango à Paris un champ d'exploitation éhontée de la violence sexuelle.
Breaking the waves, de Lars von Trier, est sans doute le meilleur exemple de ce qu'un film basé sur les violences sexuelles faîtes aux femmes suscite d'engouement malsain et de retombées pécuniaires dès lors que son réalisateur parvient à maquiller son ambition commerciale avec des artifices artistiques, en l'occurence estampillés Dogme95. Que ce soit au nom de l'amour ou d'autre chose le sacrifice du personnage de Bess (Emily Watson), qui s'inflige des supplices sexuels pour sauver son homme de la paralysie, reste un prétexte pour faire du buzz et rentrer du cash.
Lors festival de Berlin de 2018, plusieurs films : Garbage, My Brother’s Name is Robert, Unsane ou encore Lemonade, ont présenté de longues scènes d’agressions physiques ou sexuelles qui n'avaient d’autre but que celui de choquer pour choquer. Dans le genre, la palme reviendra à Human, Space, Time and Human, du Coréen Kim Ki-Duk qui se résume à une longue litanie de viols. Par ailleurs il serait impossible de dresser la liste exhaustive des séries policières et autres émissions d'enquête criminelle qui s'appuient sur des faits d'agression et barbarie sexuelle.
On dit stop ! Les violences sexuelles subies par les femmes ne doivent plus être appréhendées comme de simples éléments dramatiques. Il serait souhaitable que la thématique puisse servir d'autres intérêts que la renommée des cinéastes et le portefeuille des producteurs, en suscitant a minima une réflexion sur la culture du viol. C'est le pari qu'avait fait, en 1978, Yannick Bellon lors de la présentation de son quasi film-documentaire L'amour violé. Exemplaire dans le fond et la forme, traitant le sujet du point de vue de la victime, des conséquences physiques, relationnelles, psychologiques de son agression, l'œuvre ne reçut pourtant qu'un petit succès d'estime. La chose est éminemment regrettable, d'abord pour le film en lui-même et ensuite pour l'évidence qu'in fine c'est bien par la flatterie des goûts malsains que l'on provoque l'adhésion du public à la narration du viol...
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