Plaidoyer pour l'abolition de la prostitution (3/3)
La société doit accepter sa part de responsabilité dans l’exploitation des prostituées, victimes, au-delà des clients et proxénètes, d’un système phallocratique qui a concouru à l’établissement de la culture du viol et à l’acceptation tacite de la marchandisation de leur corps.

Faux-semblants et culture du laxisme judiciaire.
La prostitution est un fléau. On ne vit pas de la prostitution, on en meurt. Parfois au sens le plus radical du terme et toujours de façon symbolique par la destruction de l'intégrité psycho-physique. Quelque soit son mode d'exercice l'activité prostitutionnelle est un archaïsme sociétal dont il faut maintenant se défaire définitivement.
Les escorts-girls et la "Girl Friend Expérience".
Pour la majorité des gens, les escort-girls seraient épargnées des affres de la prostitution traditionnelle. Il faut avouer que le glamour médiatique qui entoure leur activité en donne une image aussi idyllique que trompeuse. Les hôtels cinq étoiles, les voyages en jet privé, les émoluments faramineux ne sont que des éléments de discours qui ne reflètent en rien la réalité de la condition des escorts-girls. Si une escort n'est pas une prostituée comme une autre, c'est avant tout parce qu'elle doit vendre son corps et son âme. Car ses clients en veulent plus, ils veulent y croire, croire qu’ils sont séduisants, intelligents, intéressants, croire qu’il sont des amants extraordinaires, ils veulent être mis en valeur et surtout ils exigent qu'elle s'investisse émotionnellement, qu’elle se conduise comme une petite amie docile et amoureuse. L’escort-girl est soumise à une injonction paradoxale, une double contrainte ayant des objectifs contradictoires. Sexuellement, on attend qu'elle se comporte comme un objet et socialement, comme un sujet doué d'empathie, de désir et de sincérité émotionnelle. L’exercice est psychologiquement aussi perturbant qu'éreintant car elle doit faire exister le temps de la rencontre deux personnages antinomiques.
L'escort-girl, le miroir aux alouettes.
Depuis quelques années, le terme « escort-girl » est devenu un argument commercial. La clientèle raffole de la « Girl Friend Expérience », cette aventure « sexo-romantique » où la prostituée doit en plus de son corps offrir son cœur. Les clients n’en sont pas plus respectueux pour autant. Sur les forums spécialisés "escorts" ils commentent leurs prestations :
Jamais de ma vie je n’ai autant défoncé le cul d’une nana. Dans toutes les positions elle n’a jamais protesté ! Ce fût un massacre anal !
Je me suis comporté comme jamais je ne l’avais fait avec une femme… elle a tout accepté avec gentillesse et douceur, je l’ai défoncée, sodomisée comme un goret et elle m’a fait de gros câlins.
Quelle bourre ! Elle accepte tout, elle suce super, elle avale, tu peux la sauter, l’enculer jusqu’à plus soif, elle aime ça.
Je l’ai vue plein de fois avant. C’est une des plus sales putes que j’ai baisées, elle aime être frappée au visage et traitée violemment.
Sous couvert de coaching bien-être, sur le net de nombreux sites proposent leurs conseils pour devenir auto-entrepreneuse en escorting. Y sont vantés les avantages, argent rapidement gagné, côtoyer des personnes venues de partout, exploiter de nouveaux horizons sur le plan sexuel. Un rédacteur explique :
Ces métiers qui rapportent beaucoup, sont considérés comme tabous par certains qui se basent sur des idées reçues. Mais avec un peu de recul, on peut en déduire que ces allégations sont fausses et que tout métier est bon à prendre tant que ça permet de bien vivre. Une escort-girl peut faire un paquet d’argent en une journée, bien plus qu’une employée de bureau peut en faire en un mois de travail acharné. Une sacrée somme d'argent gagnée tout en prenant du bon temps. C’est pourquoi, il y a autant de personnes qui tentent leur chance.
Une fois la décision prise, les filles peuvent au choix créer leur propre vitrine internet ou s’en remettre à des agences spécialisées, il en existe des dizaines. Sur ces plateformes, les présentations de profils sont on ne peut plus explicites :
J’ai une petite chatte bien juteuse… ma bouche pulpeuse, ma langue chaude et gourmande t’envelopperont dans une fellation nature et torride avec gorge profonde…tu peux me prendre par devant et par derrière…j’aime le sexe, j’en veux toujours plus, je suis insatiable…je reçois dans un cadre discret à l’hygiène irréprochable 7 jours sur 7 de 10 à 22 heures.
Bien qu’aucun tarif ne soit mentionné, laissant supposer qu’il n’est question que de libertinage, seul un perdreau de l’année pourrait ne pas comprendre de quoi il en retourne. On se demande alors pourquoi ces agences ne tombent pas sous le coup de la loi en matière de proxénétisme qui stipule dans l’article 225-5 du code pénal qu’il est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
- D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
- De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
- D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue de le faire.
Séduites par la perspective de gagner rapidement de grosses sommes d’argent, l’image glamourisée de l’escort-girl, de plus en plus de jeunes femmes se laissent berner par ce miroir aux alouettes. Désillusions garanties. L’une d’elles confesse :
Je suis fatiguée de cette vie et serais prête à tout pour rembourser tout l’argent que j’ai gagné, pour pouvoir m’arrêter, retrouver ma dignité et un vrai travail. Aucune somme ne peut panser nos plaies et nos souffrances, alors arrêter de parler d’argent facile. J’en arrive presque à me mépriser, à tel point qu’en dehors d’une prestation de services rémunérée, je suis dans l’incapacité qu’un homme pose la main sur moi. La femme a été détruite au prix de l’escorte. Un job qui n’offre aucune sécurité de l’emploi, aucun avenir. Nous n’avons pas le droit de tomber malade sans nous faire insulter parce que nous ne sommes pas disponibles au moment pile où ces messieurs le désirent ; un objet ne tombe pas malade. Voilà ce que c’est d’être prostituée. Si vous le souhaitez, je vous cède ma place.
Photo Michelle Brea.
Pour un arsenal répressif hors-norme.
Il est évident que la prohibition mi-figue mi-raisin de l’activité prostitutionnelle, telle que nous la connaissons, n’a d’autres effets que de contraindre les filles à exercer dans des conditions encore plus dangereuses. Amender les clients de quelques centaines d’euros et les proxénètes de quelques années de prison est de toute évidence trop peu pour endiguer les appétits sexuels des premiers et financiers des seconds. D’autant plus que le laxisme judiciaire en matière de délinquance sexuel est notoire. En 2010, Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles et ancien premier avocat général à la Cour de cassation, dans le cadre de son cinquième rapport mondial sur la prostitution, a montré que les peines de prison ferme prononcées étaient de 20 mois en moyenne pour le proxénétisme et de 27 mois pour le proxénétisme aggravé (pour des peines maximales encourues de 5 à 20 ans selon les circonstances).
Compte tenu des nombreux dispositifs d’aménagement de peine, notamment depuis la loi du 23 mars 2019 qui permet l’octroi d’une libération sous contrainte aux deux tiers de toute peine inférieur ou égale à cinq ans, et des multiples possibilités de réduction du temps d’incarcération, les proxénètes peuvent commercer sans trop de pression. Pour les clients, bien que la loi votée en 2016 prévoit 1 500 euros d’amende portée à 3 750 euros en cas de récidive, dans les faits ce sont généralement des condamnations à des stages de sensibilisation qui sont requises. À Bordeaux, par exemple, où les autorités ont verbalisé des centaines de clients entre 2017 et 2018, les prévenus ont été dans la plupart des cas condamnés à suivre ces stages, qui se présentent comme des cercles de discussion ayant pour objectif de faire voler en éclats les clichés sur la prostitution ! De fait, il n’est pas envisageable de combattre la prostitution sans mettre en place un arsenal répressif suffisamment brutal pour dissuader définitivement clients et proxénètes de profiter du commerce sexuel. La prison ferme pour les clients et la perpétuité incompressible pour les proxénètes aurait un effet autrement dissuasif. La création d’une juridiction pénale spécifique pour juger des délits et crimes sexuels, s’appuyant sur des magistrats spécialisés, paraît aussi indispensable.
L’abolition n’est pas non plus envisageable sans des structures d’accueil et de reconversion à la hauteur de la problématique prostitutionnelle. Le parcours de sortie de la prostitution, PSP, institué par la loi de 2016, n’a pas eu d’impact. En 2019, trois ans après la promulgation de la loi, seules 183 prostituées avaient bénéficié de ce dispositif. Le manque de moyens financiers et de stratégie de déconditionnement ont torpillé les bonnes intentions du législateur. Que les prostituées soient aujourd’hui considérées comme des victimes et non des délinquantes est une condition nécessaire mais insuffisante pour leur permettre de reprendre le cours d’une vie « normale ».
En conclusion.
L’hédonisme de masse, la recherche obsessionnelle de la jouissance, engendrés par la libération sexuelle a perverti la notion de liberté sexuelle en celle de liberté des hommes à jouir du corps des femmes sans restriction. La prostitution c’est du sexe, sans désir, sans respect et sans amour où le corps réifié est conçu comme une unité de production sexuelle, un corps-machine réduit à une fonction mécaniste de la jouissance. Ce corps objet au service d’un utilitarisme hédoniste, est devenu un bien de consommation comme un autre sur lequel clients et macs revendiquent un usufruit sordide. L’expansion de la prostitution au niveau mondial ne peut se comprendre sans une mise en perspective de la pensée néolibérale où tous les éléments de la nature sont considérés comme des objets à exploiter ou consommer. Dans le système mortifère du capitalisme patriarcal, plus rien n’a de valeur mais tout à un prix. À ce titre la révolution écoféministe, qui tend à resacraliser le corps féminin, à resacraliser la terre-mère et la nature, en transférant la charge symbolique du principe de vie du phallus vers la matrice, sonne comme l’espoir d’en finir avec la marchandisation outrancière du vivant.
La société doit accepter sa part de responsabilité dans l’exploitation des prostituées, victimes, au-delà des clients et proxénètes, d’un système phallocratique qui a concouru à l’établissement de la culture du viol et à l’acceptation tacite de la marchandisation de leur corps. Ce n’est qu’à l’aulne de la reconnaissance d’une faute collective, de la mise en œuvre de dispositifs répressifs implacables et de processus de réhabilitation dument financés que nous pourrons envisager d’abolir définitivement la prostitution. Il n’y a aucune autre alternative.
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