Sphère sociétale

Pour Agnès Giard, la "culture du viol" est un concept contre-productif !

Pour Agnès Giard, la "culture du viol" est un concept contre-productif !

Démonter un concept déterminent dans la lutte contre les agressions sexuelles, pour saper les fondements du féminisme radical, tel est, semble-t-il, l'objectif caché d'Agnès Giard, docteure en anthropologie.

Pour Agnès Giard, la

Une attaque dissimulée du féminisme radical.

Lundi 29 juin, Libération a publié un article étrange sur la culture du viol. On ne sait très exactement à quoi joue le journal ni quelle vague il souhaite suivre pour survivre, mais il semble aujourd’hui errer au gré des courants pseudos libertaires comme un bateau ivre. Donc, un article sur la « culture du viol » signé Agnès Giard, docteure en anthropologie, dont le journal livre un c.v plutôt flatteur. Dans des sociétés du tout médiatique où, on l’aura compris, la communication se doit d’être percutante pour se faire entendre, « culture du viol » sonne comme une claque et c’est bien ce que l’on attend d’une expression qui tend à réveiller les consciences. 

Parce qu’il est de bon ton de prendre de la hauteur et d'analyser les problèmes sociétaux avec distance et froideur, quelques bien-pensant.es se croient légitimement investi.es d’une mission : corriger les élans des activistes les plus virulents.es en produisant des contre-argumentaires inspirés par une supposée tempérance intellectuelle. Dans l’idée, nous avons eu droit à « la liberté d’importuner », une tribune aussi anachronique que ses signataires, qui a cherché à faire barrage au tsunami de la révolte déclenché par le séisme #MeToo. Mais le temps n’est plus aux tergiversations oiseuses, à la circonspection policée, la prise de parole et les actions se doivent d’être radicales pour en terminer avec certaines situations intolérables. Ce n’est toutefois pas la priorité que s’est fixée Agnès Giard, qui préfère disserter sur l’évolution du concept de « culture du viol », devenu selon elle contre-productif que mettre son talent et ses compétences, au service d’une cause dont il serait absurde de nier l’intérêt supérieur. 

Pour défendre son propos, Giard multiplie les contre-vérités, les approximations, les raccourcis tendancieux et les erreurs historiques. Dès les premières lignes de l’article on se demande si elle a seulement pris la peine de lire ne serait-ce que la fiche Wikipédia dédiée au sujet. Car le concept et l’expression apparaissent aux USA au début des années 70 et non à la fin des années 2000 comme le soutien l’universitaire, expliquant dans la foulée qu’ils ont été inventés pour « désigner les différentes causes de l’injustice sexuelle » (sic). En employant l’expression « injustice sexuelle » et définir tout ce qui est en rapport avec les agressions sexuelles, Agnès Giard n’hésite pas à faire dans l’euphémisme douteux. C’est certain, le viol « c’est trop injuste ».

Des mots expurgés de leur réalité.

Ne sachant pas exactement comment trouver la pertinence démonstrative, l’auteure s’embarque dans un raisonnement biaisé, avançant que la culture du viol était à l’origine un « ensemble de petites phrases humiliantes désignant, d’une part, la femme trop "libre" comme trainée et, d’autre part, le garçon "pas assez viril" comme tapette. La culture du viol, c’était le discours incitant les hommes à se conduire de façon agressive pour prouver leur valeur et interdisant aux femmes d’avoir une sexualité récréative, sous peine d’en subir les conséquences…voilà ce que culture du viol dénonçait pêle-mêle. Il n’est pas difficile de comprendre l’aspiration à la liberté qui sous-tendait son usage : pour ceux et celles qui parlaient de « culture du viol », la meilleure façon d’en finir avec le viol c’était – bien évidemment – d’encourager les femmes à séduire activement, en quittant la posture passive de la petite souris qui attend son matou. »  Cette conception de la culture du viol et de ses sous-entendus n’appartient qu’à l’auteure puisque la définition exacte : « un ensemble de comportements et d’attitudes partagés au sein d’un société donnée qui minimisent, normalisent voire encouragent les violences sexuelles de quelque nature qu’elles soient », renvoie à la violence des agressions sexuelles et une acception culturelle de celles-ci, transmise de génération en génération. L’idée n’a donc jamais été d’encourager les femmes à séduire activement, mais de mettre en évidence une culture des comportements sexuels masculins agressifs. Conséquemment il peut être sous-entendu que les femmes qui souhaitent séduire activement doivent pouvoir le faire sans risquer d'être agressées et le cas échéant sans redouter que leur comportement libre ne serve d’argument à la défense de l’agresseur. La nuance est aussi subtile que fondamentale. En jouant vicieusement sur les mots avec l'objectif de leur faire dire ce qui l’arrange pour la suite de son raisonnement, Agnès Giard reprend des procédés dignes de la censure. 

Ayant posé qu’à l’origine « les adeptes de cette expression militaient pour que les filles s’autorisent à draguer, à faire le premier pas, à être sexuellement actives », Agnès Giard enchaîne en prétendant que « hélas, ces idéaux semblent avoir disparu, remplacés par leur exact contraire. L’expression « culture du viol » n’est maintenant plus utilisée qu’à contre-sens, en vue de défendre des positions exactement inverses à celles qui prévalaient autrefois. Pour ses nouveaux utilisateurs-ices, l’expression « culture du viol » ne sert plus qu’à censurer des images érotiques, des textes littéraires et parfois même, comble de l’ironie, des articles féministes. » La formulation « culture du viol » aurait donc été dévoyée au profit d’une pensée féministe carcérale, puritaine et pudibonde… celle-là même que fustigeaient les signataires de « la liberté d’importuner » ?

L'obsession de protéger les femmes renforcerait les préjugés contre le "sexe faible".

C’est au milieu de l’article que l’on saisit le pourquoi de cette altération du concept de culture du viol : défendre Laura Kipnis, une intellectuelle américaine, qui dans un article intitulé « La paranoïa sexuelle frappe le milieu académique » s’inquiétait que « l’obsession pour un imaginaire mélodramatique d’impuissantes victimes et de puissants prédateurs se fait au détriment de qui l’on prétend protéger les intérêts, nommément les étudiantes. » Devant cette affirmation délirante la réaction des étudiantes ne pouvait être que virulente. Logique, sauf pour Agnès Giard qui a vu dans leur prise de position pugnace « une confirmation éclatante des propos de la chercheuse » et l’influence négative de la notion « actuelle » de culture du viol. Qualifier d’imaginaire mélodramatique le vécu de millions de femmes violentées par des hommes, qui ont usé et abusé de leur puissance pour arriver à leurs fins, dépasse l’entendement. Par ailleurs il est important de rappeler que le mécanisme de l’agression induit un processus de sidération susceptible de paralyser toute tentative de résistance. La victime est de fait toujours impuissante. Aborder la question des agressions sexuelles en stigmatisant les victimes, en leur laissant entendre que les évènements auraient pu être différents si elles n’avaient pas intériorisées le principe de victime par nature, est proprement scandaleux et intellectuellement inacceptable. Finalement le message en filigrane rejoint celui opérant dans la culture du viol, les victimes sont responsables de leur agression. 

Pour faire bonne mesure, Agnès Giard poursuit en citant « l’ouvrage passionnant » de Laura Kipnis dénonçant les mesures punitives, la surveillance généralisée, la justice expéditive (sic) et la délation encouragée. Un ensemble de dispositions soi-disant mises en place pour lutter contre la culture du viol mais qui contribueraient à exacerber les peurs, à favoriser une politique de la terreur qui nuirait à l’émancipation sexuelle des femmes, leur empêchant d’être sexuellement actives et de draguer comme bon leur semble (sic). On pourrait sans doute valider cette relation de cause à effet si les femmes avaient découvert l’existence des agressions sexuelles à la lumière des révélations en mode #MeToo et des procès médiatisés, mais tel n’est pas le cas, car pour la plupart d’entre elles, cette réalité fait partie de leur quotidien. Et on peut légitimement supposer que de se savoir enfin écoutées, de savoir que dorénavant leur parole ne sera plus systématiquement mise en doute, que les agresseurs seront, quelle que soit leur position sociale, réellement punis pour leurs crimes et délits, est pour l’ensemble des femmes le signe que la société a enfin compris et que dorénavant, la peur sera du côté des agresseurs. 

Féminisme radical, un féminisme carcéral ?

Mais Giard et Kipnis n’en démordent pas, arguant qu’aujourd’hui « l’expression culture du viol  permet à ceux et celles qui s’en arrogent l’usage de défendre des positions diamétralement opposées à celles qui permettraient d’en finir avec le viol. » Kipnis ajoutant : « La politique sociale inspirée par les préoccupations féministes a connu un tournant belliqueux axé sur la sécurité et, pour le décrire, on a eu recours à l’expression « féminisme carcéral » — plus de surveillance, plus de réglementation, un empressement à troquer les libertés individuelles contre d’illusoires promesses de sécurité, et la même orgueilleuse incapacité à analyser la situation. C’est le féminisme carcéral qui guide aujourd’hui les universités, dans un esprit profondément conservateur et répressif… » Ce féminisme carcéral serait une résurgence, le retour des « féministes soi-disant radicales des années 1980… des bégueules myopes, qui n’ont pas hésité à faire alliance avec les chrétiens conservateurs contre le démon de la pornographie. »  Et alors ? Si ces « soi-disant » féministes avaient été entendues en temps et en heure nous n’aurions peut-être pas connu la désastreuse gradation de la violence pornographique. Qu’elles furent myopes ne les a pas empêchées d’être visionnaires. Et si en 2020 il est des féministes radicales qui continuent le combat contre la pornographie, la prostitution et toutes formes de coercition ou d’agression sexuelle, nous ne pouvons que les encourager dans leur lutte. Car la culture du viol c’est aussi ça : l’objectivation du corps féminin à des seules fins de jouissance masculine et cet état de fait n’est plus acceptable. La radicalité s’impose comme une urgence, les tergiversations oiseuses, les prises de positions mièvres, les pseudo discours libertaires teintés d’intellectualisme toxique n’ont fait qu'aggraver la situation des femmes. 

Dans la dernière partie de l’article, Agnès Giard cite à nouveau Laura Kipnis, pointant que « l’ardeur avec laquelle ces militantes crient au scandale dès lors qu’une femme est mise en scène comme « objet de désir » est en tout point similaire aux jugements moraux sur les salopes. »  La femme représentée en « objet de désir » est au cœur de la problématique de la culture du viol, c’est l’objectivation du corps féminin qui pose problème et ce que les féministes « puritaines » revendiquent, à juste titre, est la reconnaissance de la femme en tant que « sujet de désir ». En aucun cas cela ne jette le discrédit sur celles qui s’affichent comme « trop » libres, « trop » attirantes, « trop » désirables ou « trop » désirantes, comme l’affirme éhontément Giard.

N'en déplaise à certains.es, en finir avec la culture du viol, avec l’idée de la « femme-objet », est la seule option qui permettra aux femmes, contrairement à ce qu’avance l’anthropologue, d’accéder à la liberté d’être sujets de désir et de plaisir.   


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