Sphère sociétale

Pour une vraie révolution sexuelle avec la Génération Z

Pour une vraie révolution sexuelle avec la Génération Z

L'émancipation en mode féministes pro-sexe et sexpositif ne convainc plus.

Pour une vraie révolution sexuelle avec la Génération Z

La fin des illusions pro-sexes.

Début des années 80, après une remarquable décennie de combat unitaire, le féminisme entame une phase de dispersion politique. Le mouvement se fragmente en plusieurs chapelles ayant des visions contrastées de l'émancipation et des moyens d'y parvenir. Pour les féminismes sexpositif* et pro-sexe*, la libération sexuelle, au-delà de l’épanouissement personnel, présente l'opportunité de contester le contrôle patriarcal de la sexualité, autrement dit d’investir politiquement la sphère des relations intimes. À leur objectif primordial d’une reconnaissance pleine, entière et différenciée du féminin érotique, se greffent naturellement ceux d’une libre exploration des champs de la sexualité hédoniste et d’un abandon des référents moraux pour juger de la validité sociale des fantaisies érotiques féminines.

Parfaite dans l’idée, cette ambition émancipatrice ne saura pourtant pas métamorphoser la nature des relations intimes. Car pro-sexes et sexpositives vont, à revers du féminisme de la seconde vague, considérer la pornographie comme un espace de déconstruction des stéréotypes de genre, de promotion de l’empowerment sexuel et un modèle cohérent d'éducation à la sexualité hédoniste. Si la proto-industrie du sexe se félicite publiquement des positions féministes sexpositives et pro-sexes, se veut partenaire de la lutte libertaire, de l'empowerment et se dit prête à jouer le jeu, elle ne compte pas en réalité modifier une représentation du féminin érotique qui fait bander les hommes, ni laisser une poignée de militantes s'approprier un business générant, déjà, des millions de dollars. Le porno restera le porno, un érotisme pensé par et pour des hommes. 

Émancipation, la fausse piste porno.

Au tournant du millénaire, le droit des minorités, et par extension celui de l’individu, à une inaliénable liberté de penser et d’agir, envahit le discours politique international et se traduit par une fragmentation du corps social assortie d'une explosion des revendications libertaires. Le concept de libération sexuelle, phagocyté par toutes sortes d’idées et d’objectifs, se coupe de sa substance originelle et se transforme en un imbitable foutoir idéologique. Dans cette confusion du sens, les pornographes sont à leur aise, car plus personne n’est en mesure de les attaquer sans attaquer une des multiple facettes de la liberté d’être.

À l’endroit de la pornographie se cristallise un combat idéologique entre les féministes de la troisième vague et leurs aînées, que les pornographes résumeront habilement à la question : êtes-vous pro-sexe ou anti-sexe ? Foncièrement dogmatique le mouvement pro-sexe s’interdit de porter un regard critique sur la pornographie, ni même d’entendre les témoignages explicites des hardeuses sur l’envers du décors. Pourtant les productions pornos ont amorcé, dans l’underground des années 90, un virage inquiétant : le hardcore. La sympathique tentatrice des eigthies a cédé la place à la salope qu'il convient de baiser avec toute la brutalité possible. Les thématiques du viol, du gang-bang, du fist-fucking garnissent abondamment les rayons des sex-shops et le porno rime essentiellement avec agression sexuelle. Dans les rangs pro-sexe, le malaise se fait sentir. Des voix s'élèvent pour réclamer le développement d'une pornographie humaniste, organisée autour des désir et plaisir féminins et à contre-pied de la pornographie hardcore. En 2006, sont organisés les premiers Féminist Porn Awards, mais le porno féministe peine à exister. Sous-tendues par une réflexion insuffisante sur la pornographie, souvent managées par d'anciennes hardeuses, les productions porno-féministes font du neuf avec du vieux et se noient, faute d'une réelle identité, dans la masse des contenus mainstream.

Retour au réel.

Un bon demi-siècle après la révolution sexuelle, le corps libéré de la femme ne l’est que dans une mise en scène bancale des convictions sexpositives et pro-sexes. Il n’est pas besoin de parcourir des dizaines de forums pour comprendre que les filles consentent souvent sans désir, préférant taire leur réticences pour ne pas s’exclure du modèle érotique socialement dominant. Si personne ne dénie aux femmes le droit de s’épanouir dans un érotisme hardcore, force est d’admettre qu’une infime fraction d’entre elles le revendique. Une étude anglaise vient de montrer qu’un tiers des femmes britanniques a fait l’expérience non désirée, de la fessée, du splitting, de la sodomie, des gorges profondes, en gros du rough sex. La normalisation de la violence sexuelle, devenue élément érogène d’une sexualité qui se veut décomplexée, induit des comportements d’acception pour des pratiques potentiellement traumatisantes comme le « choking » qui consiste à frapper, d'une gifle ou d'un coup de poing, l’arrière de la tête de la partenaire. 

D’une libération promise, les femmes se trouvent sous le joug d’une modélisation des comportements sexuels dont elles ne tirent que rarement bénéfice. Mais dans une ère où l’intégration sociale est proportionnelle à l’ajustement de la médiatisation personnelle, il est indispensable de se construire et diffuser une image en adéquation avec l’air du temps. De fait, nombre de jeunes femmes admettent d’abord penser à ce qu’il convient de faire pour paraître, avant de penser à ce qui serait bon de faire pour être. Sur un forum dédié à la sexualité adolescente une jeune fille se posait la question des trois trous dès le premier rapport. L’interrogation malheureusement récurrente résume parfaitement la situation et le niveau d’intoxication des relations intimes par la consommation massive de pornographie. 

Génération Z, réinventer le sexe et l'amour.

Aujourd’hui, si la gent féminine est imprégnée, d’une manière ou d’une autre, des concepts sexpositifs et pro-sexes, les représentantes de la génération Z, la première à faire l’expérience du tout porno, montrent une plus grande réceptivité au discours féministe radical et une moindre inclinaison à être dupe d’une libération qui n’en a que l’apparence. Il faut dire que leurs partenaires étant rarement porn-free, une grande partie d’entre elles a subi, à divers degrés, la pornification de la sexualité masculine. 

Dans le New-York Times, la journaliste Michelle Goldberg a provoqué quelques grincements de dents au sein du canal historique du féminisme sexpositif en arguant de son échec. Échec patent qui ouvre maintenant sur la reconnaissance de l'asexualité comme une orientation érotique parmi d'autres. Loin d’être un phénomène anti-sexe, le movement asexuel, incarnée, entre autres, par l’activiste Yasmin Benoit, est présent dans les festivals des Fiertés et s’impose comme une réalité queer contemporaine. Ultime refuge pour échapper à la violence sexuelle masculine et/ou à un modèle érotique dépourvu de sens, l’asexualité est sans doute perçue par ses adeptes comme l’expression la plus épanouissante de la liberté sexuelle. Et le fait est suffisamment signifiant pour stigmatiser les illusions perdues de la révolution sexuelle.

Alors quid du sexpositivisme et du pro-sexe ? On retiendra qu’ils ont essentiellement permis de libérer la parole, les femmes pouvant aujourd’hui exprimer ouvertement la nature de leurs désirs. Dans les faits, la multiplication des témoignages féminins désabusés montre une inquiétante dégradation des rapports intimes. La fin des illusions sexpositives et pro-sexes est consommée.  L'érotisme porno prospère sur une déshumanisation toujours plus poussée de la sexualité hédoniste, les membres féminins de la génération Z le vivent à plein et nous devons entendre leurs doléances. Voir aussi que derrière une indolente et hétéroclite façon d’envisager la rencontre intime elles expriment une lassitude des expériences sans substance. La consommation de sexe en mode porno-fast-food perdrait-elle ses oripeaux ? On ose l’espérer, comme on ose espérer qu’à l’éducation érotique porno-orientée succède un modèle qui réconcilierait amour et sexe, consentement et désir partagé, sexualité épanouie et vie de couple... l'amorce d'une vraie révolution sexuelle ?

* Les féminismes pro-sexe et sexpositif sont deux branches du féminisme partageant nombre de  points de vue sur l'émancipation de la sexualité féminine.

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