Revenge porn, le combat d'une mère
Le revenge porn détruit les victimes, mais enrichit grassement ceux qui en font commerce. En 2012, une femme du nom de Charlotte Laws s’est attaquée à l’une des figures de proue du mouvement, Hunter Moore le tristement célèbre fondateur du site Is Anyone Up.

Le revenge porn ou la pornification des comportements sociaux.
Le concept du revenge porn est simple : publier des clichés sexuellement explicites à l'insu de la personne concernée dans le but de se venger et/ou simplement de salir sa réputation. Né dans la première décennie des années 2000, le revenge porn a rapidement trouvé son public et peut être analysé comme un des effets collatéraux de l’intoxication porno. Car l’érotisation de l’humiliation, de la soumission, de la dégradation se trouve être la pierre angulaire du phénomène. Si la vengeance motive ceux qui publient nudes et sextapes, l’excitation sexuelle est au cœur des attentes de ceux qui les visionnent. Sordide par essence, le revenge porn a de graves conséquences psychologiques et sociales : dépression, perte de l’estime de soi, perte d’emploi. Ainsi de nombreux témoignages font état de vies anéanties après la divulgation de ces photos et vidéos compromettantes.
Le revenge porn détruit les victimes, mais enrichit grassement ceux qui en font commerce. En 2012, une femme du nom de Charlotte Laws s’est attaquée à l’une des figures de proue du mouvement, Hunter Moore le tristement célèbre fondateur du site Is Anyone Up. Financièrement puissant, adoubé par les médias, se voulant intouchable à l’instar des pontes de l’industrie pornographiques, il a finalement été condamné par la justice. Cette affaire, peu relayée par les médias, a porté un double enseignement. Elle a confirmé que le porno modifiait les comportements sociaux, mais surtout que l’on pouvait faire plier ses magnas.
Juchée sur ses hauts-talons, Charlotte Laws, autrice, présentatrice de talk-show et avocate en droit animalier, attend dans l’ambiance austère du tribunal, l’heure du procès qui l’opposera à Hunter Moore. Accompagnée d’une journaliste, elle passe en revue une série de captures d’écran qu’elle a imprimées. Ce sont les dernières menaces de mort et autres tentatives d’intimidation dont elle fait l’objet. La plupart proviennent de comptes Twitter anonymes. Dans l’un d’entre eux elle est traitée de « pute à dégommer », dans un autre c’est sa fille, Kayla, qui est qualifiée de « chienne bouffeuse de bites ». Depuis le début de l’affaire et de façon crescendo, Charlotte Laws et sa famille sont harcelées par les followers de Moore. Car Hunter Moore est une star du net qui en 2010 a créé un site de revenge porn qui cartonne, Is Anyone Up. Un site dont la fonction se résume à diffuser des photos et vidéos à caractère sexuel accompagnées des noms, prénoms et autres informations comme l’adresse et le job des victimes. Moore se définit cyniquement comme un « briseur professionnel de vie ».
Charlotte Laws.
Les faits.
Kayla Laws, 24 ans, est comédienne débutante et serveuse dans un restaurant. Un jour, un ami lui confie avoir vu sur internet une photo d’elle, seins nus, accompagnée de son nom, son adresse et ses identifiants Facebook et Twitter. Elle se rappelle avoir fait un selfie topless qu’elle a archivé sur son ordinateur, une photo qui n’avait en aucun cas pour dessein de finir sur le net, encore moins d’être vue par des centaines de milliers de personnes. Et pourtant. Lorsqu’elle se connecte au site de Moore, elle est consternée. Si elle ne sait pas comment le cliché a pu se retrouver là, elle est sûre d'une chose : il ne peut s’agir d’une quelconque vengeance. Et elle a raison, son ordinateur a été piraté par un aigrefin du net, Charlie Evens, travaillant en sous-main pour le compte de Moore. Prise de panique elle appelle aussitôt sa mère qui ne comprend pas trop de quoi il s’agit, mais pressent que quelque chose d’inquiétant vient d’arriver.
Pour Charlotte Laws, le monde minable du revenge porn était, jusqu’à cet incident, parfaitement inconnu. Elle le découvre avec stupeur et en comprend le potentiel ravageur. Pendant une dizaine de jours, elle tente en vain de trouver le moyen de faire disparaître la photo du net. Lettres à Moore, à son avocat, à Facebook… aucune réponse. Ne voulant pas lâcher l’affaire, elle cherche de l’aide auprès d’un expert. N’en trouvant pas, elle se décide de prendre les choses en main.
Les pontes du porno ne sont pas invincibles.
Pour peser dans la balance, elle sait qu’elle doit trouver des choses sur Moore. Par chance, le personnage aime exposer ses frasques en public et se faire de la pub à moindre frais. Tout est bon pour faire le buzz, donc du fric. À cette époque, Moore, qui revendique 30 000 dollars de revenus mensuels, se sent intouchable, d’autant plus que les médias lui cirent gentiment les pompes. Plusieurs journalistes ont déjà fait la quasi-éloge de ses dérapages quand en novembre 2012, le magazine Rolling Stone, surfant sur la vague « drogues, femmes, porno » lui dédie un article des plus complaisants, le dépeignant comme un baron du rock’n’roll. Moore y déclare faire du sexe quand il veut avec ses groupies, mais que cela est surtout motivé par les retombées en matière de trafic. Il confie se sentir comme un fucking dick, une sorte de personnage de fiction porno. Moore fascine les pontes cacochymes de la rock’n’roll attitude. À un journaliste du Daily Beast, il se vante avoir baisé toutes les filles du coin, la plupart âgées de 17 ans, et qu’il devrait être en taule pour ça. Quand la BBC lui décerne le titre « d'homme le plus détesté d’internet », il en tire le meilleur parti pour son business. Comme l’a souligné et déploré Charlotte Laws, la couverture médiatique bienveillante dont a profité Moore est un des facteurs qui lui ont permis de prospérer dans le commerce de l’infamie porno.
Cependant, si trouver des infos sur Moore est capital, l’urgence est de faire disparaître la photo de sa fille. C. Laws entre en contact avec la Police de Los Angeles qui, de façon prévisible, laisse entendre que la petite n’aurait pas dû faire cette photo. En désespoir de cause, elle se tourne vers le FBI. Dans ce genre d’affaire, seule la suspicion de hacking lui permet d’ouvrir une enquête. En l’occurrence, il y a matière à penser que tel est le cas et le Bureau Fédéral prend l’affaire au sérieux. Quelques jours plus tard, l’avocat de Moore est informé de l’implication des agents fédéraux et la photo disparaît comme par miracle. Comme le dit Kayla, « Ils sont tombés sur la mauvaise mère ! »
Une première victoire, mais les choses ne peuvent en rester là. Sur le site de Moore, il n’y a pas que de jeunes victimes, il y a aussi des femmes de 50 ans, un aveugle paraplégique, une personne souffrant d’un déficit de croissance. Un des followers prétend même détenir la photo d’une femme morte dénudée et une discussion s’est engagée autour de la question « Dois-je poster la femme morte ou pas ? » Deux années durant, Charlotte Laws se lance dans une véritable campagne d’investigation. Elle veut parler au nom des celles qui n’osent pas le faire. Elle prend contact avec 40 victimes, des femmes, traumatisées par « l’expérience Moore » et constitue un dossier de preuves accablantes.
En janvier 2014, Moore et Charles Evens sont arrêtés par le FBI et inculpés pour complot, violation d’ordinateurs privés et usurpation d’identité. En février 2015, sur l’accusation de vol de documents d’identité, d’aide et d’encouragement à la violation d’ordinateurs privés, Moore se retrouve à nouveau devant les tribunaux. Il plaide coupable. En juillet 2015, Charles Evans plaide coupable pour l’inculpation de violation d’ordinateurs privés, vols de documents d’identité et reconnaît avoir envoyé à Moore des centaines de photos de femmes, volées via des comptes emails. Moore écopera d’une peine de prison de deux ans et demi, assortie d’une mise à l’épreuve de 3 ans et de 2 000 dollars d’amende, Evans sera condamné à 2 ans de réclusion et 2 000 dollars d’amende.
Charlotte Laws a passé des semaines entières à la recherche des victimes de isanyoneup.com et d’autres sites du genre. Au total, elle est venue en aide à une bonne centaine d’entre elles. Après avoir initié un projet de loi anti-revenge porn dans l’État de Californie, elle a milité pour l’adoption d’une loi fédérale en la matière. « Il est très, très important que ce type d’activité soit reconnu comme criminel et la loi doit changer. »
{reply-to}{comment}{status-info}
Poster un commentaire