Suis-je une féministe misogyne ?

Je croyais être une féministe, mais comme beaucoup de femmes, je commence à me demander si je ne suis pas en fait un peu sexiste.
La déferlante des cas de harcèlement sexuel à laquelle nous avons assisté ces dernières semaines m’a permis de comprendre l’importance de la notion de misogynie intégrée. Il existe une infinité de voies par lesquelles les femmes apprennent à déconsidérer les autres femmes. Entre autres choses, nous avons développé une faculté incroyable à nous moquer de nous-mêmes. En tant que femme, on peut à la fois, et sans en être conscientes, devenir une féministe et une misogyne !
Je suis en train de réaliser combien j’avais intégré le sexisme ambiant.
Je suis une féministe fière de l’être et cependant, je suis maintenant sûre d’être, comme beaucoup de femmes, un peu misogyne. Au cours des dernières semaines, je me suis sentie un peu désolée pour tous ces hommes qui, à la suite des allégations de harcèlement sexuel, ont perdu leur job et ont vu leur réputation salie au plus haut point. Pas tous des Weinstein, mais des hommes accusés de comportements plus ou moins limites.
La plupart des adultes sont capables de ce minimum de discernement qui les autorise à différencier un comportement convenable d’un autre qui le serait moins. En d’autres termes, ils savent ne pas dépasser certaines limites quand ils draguent et acceptent, sans en prendre ombrage, un refus clairement exprimé. Les hommes pour lesquels j’ai eu une certaine empathie ont tous été accusés à plusieurs reprises de comportements déplacés et il est difficile d’argumenter qu’ils ne savaient pas exactement ce qu’ils faisaient. Pourquoi, Dieu du ciel, ai-je été désolée pour eux ?
Durant ces derniers jours je me suis demandée pourquoi les femmes, qui aujourd’hui portent plainte en masse, ne l’avaient pas fait plus tôt. En fait, je sais très bien pourquoi. Je sais combien les victimes de harcèlement peuvent être fracassées par la presse. Je sais ce qui va en être de leur réputation et de leur carrière professionnelle. Je sais qu’elles seront clouées au pilori et que leurs accusations seront systématiquement remises en cause. Je sais tout cela et pourtant me viennent à l’esprit des idées purement sexistes qui prennent la forme de cette question stupide : pourquoi n’ont-t-elles rien dit ? Ces dernières semaines, j’ai ressenti une certaine honte en reconnaissant que j’étais tombée des nues devant le nombre des femmes victimes de harcèlement ou de viol. Je n’avais jamais intégré l’idée que le phénomène puisse être aussi considérable.
Il est vrai que chaque fois que je sors de chez moi, j’ai un casque sur les oreilles, même si je n’écoute rien.
De fait, il m’est difficile voire impossible d’entendre d’éventuels commentaires désobligeants sur la façon dont je suis fringuée ou sur mes formes généreuses. Le paradoxe dans l’histoire vient de ma propension à tenir les clés de mon appartement fermement dans ma main, comme une arme, dès que je me promène seule le soir, toujours méfiante dès que je croise un homme. Malgré cela je continuais à voir le harcèlement comme quelque chose d’anecdotique.
Et puis il y eu ce fameux jour où l’actrice Kristina Cohen a porté plainte contre Ed Westwick pour viol. Ed Westwick, alias Chuck Bass, le coureur de jupons attitré de la série Gossip Girl. J’ai subitement pensé que la série allait s’arrêter, que je ne pourrais plus la voir, ce qui était finalement bizarre parce qu’il y a bien longtemps que je ne la regardais plus. Pour une féministe comme moi, Gossip Girl représentait le summum de la culture machiste, légitimant allègrement le harcèlement sexuel et le viol. Dès le premier épisode de la première saison, Chuck Bass tentait de violer deux filles au cours d’une soirée et faisait fi des critiques en lançant : "Ce sont des choses qui arrivent en soirée."
Dès le début de cette série extrêmement populaire, surtout chez les adolescentes, Chuck a été pensé comme un personnage sexuellement agressif, sans pour autant être présenté comme un délinquant sexuel. Non, juste le type bad boy qu’il est excitant de fréquenter, le genre de gars qui a une tendance à passer les limites dès qu’il a bu quelques verres mais que toutes les filles veulent mettre dans leur lit. Les concepteurs de la série ont voulu et si bien réussi à rendre le personnage sympathique que sa facette de violeur patenté avait un aspect acceptable. Et là s'exprime la singularité de la féministe que je suis, à la fois consciente du traitement discriminant que la société réserve aux femmes et ex-fan d'une série dont une partie du propos s'enracine dans la culture du viol.
Ce que nous enseigne le cas Westwick c’est qu’il ne faut pas blâmer que les hommes dans ces histoires de harcèlement mais notre société toute entière.
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