Sphère sociétale

Témoignage - Charlène Bonnetier, femme, mère et guerrière.

Témoignage - Charlène Bonnetier, femme, mère et guerrière.

Depuis 2015, Charlène se bat pour ses droits et ceux de son enfant. Son histoire est malheureusement celle de beaucoup d’autres femmes victimes de violences conjugales, mais la sienne a la triste particularité d’être jonchée de pierres d’achoppement judiciaires. 11 plaintes ont été déposées pour de multiples faits de violences, tentatives d’effraction de domiciles, détérioration de biens, harcèlement et menaces à caractère sexuel. Toutes ou presque ont été classées, une enquête ouverte à la demande d’un procureur de la République, a même été perdue !

Témoignage - Charlène Bonnetier, femme, mère et guerrière.

Cela fait plus de 5 ans que Charlène se bat pour ses droits et la protection de son petit garçon.

Le parcours du combattant, Charlène le suit depuis plus de cinq ans, alors que les multiples plaintes portées contre son ex-mari violent ne sont plus qu’un souvenir, des affaires classées « insuffisamment caractérisées ». Insuffisance ou absence de prise en charge, complaisance plus ou moins opaque de la police envers le mis en cause, la justice reste sourde aux appels à l’aide d’une femme en guerre contre un système judiciaire défaillant dont profite son ex-mari pour lui faire vivre un enfer.

À la lecture de ce témoignage poignant que nous livre Charlène, la voix parfois tremblante lorsqu’elle évoque certaines des violences qu’elle a subies dans un marasme juridique achevé, comment ne pas être indigné.e. ? Elle fut une victime, mais « Charlène Guerrière » est aujourd’hui une combattante. Aidons-la à faire entendre sa voix, en partageant massivement cet article accompagné du lien vers la cagnotte qu’elle a dû se résoudre à mettre en ligne pour assurer la défense de ses droits.


J’ai rencontré le père de mon fils très jeune, j’avais à peu près 20 ans.

On avait des amis communs, donc on se voyait lors de soirées mais on n’échangeait pas du tout. C’était quelqu’un de discret, assez effacé. Le hasard a fait que la mairie m’a attribué un logement dans son immeuble, je suis donc devenue sa voisine, on s’est rapprochés en six mois à peu près et on a commencé à se fréquenter. J’ai alors appris qu’il était le père de deux enfants qu’il avait eus avec deux femmes différentes, mais je n’ai rien su de plus à ce moment-là.

On s’est mis en couple assez rapidement et je lui ai assez vite confié les clés de mon appartement. Très rapidement, il a eu des comportements « particuliers », il ne me frappait pas encore mais il avait des attitudes violentes, au début contre lui-même. Lorsqu’il était en crise, souvent parce qu’il était jaloux, il pouvait se frapper, se donner des coups de poings parce qu’il pensait que je le trompais avec d’autres hommes, des femmes et même des membres de ma famille.

Il était très impulsif lors de ses crises de jalousie, même avant qu’on vive ensemble. Par exemple, quand il voyait des hommes entrer dans l’immeuble, il était persuadé qu’ils venaient chez moi. Plusieurs fois il a fait irruption dans mon appartement pour vérifier que l’un d’eux ne se trouvait pas là, fouillant partout en demandant « Il est où, il est où ?! ». Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas réagi du tout, j'ai quand-même vécu avec lui et après 4 demandes en mariage, j’ai finalement accepté. Entre temps, j’ai appris qu’il avait deux ex-femmes dont une était la mère de l’un de ses deux autres enfants. Par la suite, j’ai appris qu’on était six femmes à avoir subi de sa part des violences conjugales. Tout s’est ensuite très vite enchaîné entre nous, trois mois après le mariage et à sa demande, on a acheté un appartement en commun et je suis tombée enceinte dans la foulée. Entre 2012 et 2015, il n’a pas levé la main sur moi.

Les coups ont commencé pour la première fois pendant ma grossesse, j’étais enceinte de 4 mois.

Je rentrais du travail et je lui ai appris que j’avais payé sans son accord, le chargeur de téléphone que je venais d’acheter avec la carte du compte commun. Il s’est mis dans une rage folle, visage tremblant, transpirant. On se trouvaient sur le canapé, il m'a serré fortement le visage entre ses mains, m’enfonçant les doigts dans le nez, me léchant, me bavant et me crachant dessus. Puis il a pris mon téléphone pour fouiller à l’intérieur, je me suis levée du canapé pour le suivre dans la cuisine et au moment où j’ai voulu le lui reprendre, il m’a mis des coups de pieds dans le ventre. Je suis partie le soir même, ne sachant pas où aller, je suis entrée dans une pizzéria du quartier. Je ne connaissais vraiment pas la ville où je venais d’emménager, je suis donc allée là où « je trouvais de la lumière » en quelques sortes. Je leur ai demandé d’appeler les pompiers parce que j’avais reçu des coups au ventre et que j’avais peur de perdre mon bébé. Les pompiers sont arrivés avec la police qui l’a placé en garde à vue. J’ai déposé une première plainte, classée « insuffisamment caractérisée » malgré le fait que j’ai perdu du sang. Lors de l’examen, il a été constaté la présence de sang dans mes urines alors qu’un jour avant, l’échographie de contrôle et le test urinaire n’avaient rien révélé d’anormal. Ils ont préféré minimiser les faits, considérant qu’il arrive parfois aux femmes enceintes de perdre du sang, que rien ne prouvait que les coups reçus en étaient l’origine. Il faut dire aussi qu’il y a eu une notion de co-responsabilité dans le sens où j’ai reconnu l’avoir giflé, n’arrivant pas à le repousser quand il me serrait la mâchoire, me mettait les doigts dans le nez et me léchait le visage, pensant que ça le calmerait. Avec le recul, je me dis que je n’aurais jamais dû le reconnaître.


Il a quand-même été placé en garde à vue plus de 72 heures, mais au bout de 48 heures, j’ai malgré tout pris des nouvelles parce que je culpabilisais, dans le sens où je n’arrivais pas à savoir si j’étais responsable de ce qui arrivait ou pas du tout. J’ai donc appelé la police pour demander pourquoi il ne sortait pas. Ils m’ont répondu qu’il devait subir une expertise psychiatrique parce que j’étais la 4ème femme à déposer plainte pour des faits similaires. C’est à ce moment-là que j’ai brutalement tout appris. Mais surtout, il avait été convenu avec la police que je serais prévenue à temps pour ne pas me trouver au domicile commun lorsqu’il sortirait, parce qu’il est connu que les hommes qui sortent de garde à vue sont souvent énervés... Personne ne m’a prévenue. Je suis rentrée et tombée nez-à-nez avec lui. Dès la première plainte, rien n’a été fait correctement.

Une fois partie du domicile commun, je me suis d’abord retrouvée chez ma mère, puis chez des amis qui m’ont hébergée, puis je suis retournée chez ma mère pour finalement passer quelques jours à l'hôtel. Comme tout ça était difficile à vivre, j’ai dû me résoudre à retourner au domicile conjugal et faire croire à mon ex-mari que notre relation allait continuer mais en parallèle, j’avais fait une demande de logement social.

J’avais de plus en plus peur de lui. On ne dormait plus ensemble, je dormais dans la chambre, lui dans le salon, mais toutes les nuits je verrouillais la porte et gardais avec moi une bombe lacrymogène et un téléphone de secours que j’avais acheté à la Poste et que je portais sur moi, caché dans mon soutien-gorge. Il me faisait vivre un enfer, je n’avais aucune liberté. Si je sortais je devais prendre mon téléphone, s’il appelait et que j’étais en voiture, je devais klaxonner pour le prouver, si j’étais avec ma mère, elle devait parler etc. À ce moment-là je savais que c’était fini, que je ne lui pardonnerais jamais tout ce qu’il m’avait fait subir. C'est là que je me suis rendu-compte que finalement, je vivais comme ça, sous pression permanente, depuis des années. Je ne m’en n’étais pas aperçue plut tôt parce qu’il avait réussi à me persuader du fait que pour une fille comme moi, intéresser un homme de sa valeur était une aubaine. Mon fils est né le 21 juin 2015, puis en octobre et face à mon insistance (j’ai fait le pied de grue devant la mairie tous les jours pendant qu’il partait travailler), on m’a enfin proposé un logement. 

Je pensais en avoir fini avec tout ça, que je n’avais plus qu’à demander le divorce et que tout rentrerait bientôt dans l’ordre mais le pire restait à venir.

Mon ex-mari est devenu très menaçant au téléphone, il avait un discours disproportionné, m’accusait de lui provoquer ce qu’il appelait des « coups de foudre » : selon lui, je profitais de sa gentillesse et m’étonnais ensuite de ses réactions. Il a tenu les mêmes propos lors de ses auditions en garde à vue (ils ont été enregistrés). Il me disait de prier le Je vous salue Marie (référence à la mort) alors que je suis athée, de brûler régulièrement des cierges, qu’un accident était « vite arrivé ».

Comme je lui avais laissé l’appartement commun, je suis partie avec la voiture qui était tout ce qui me restait. J’habitais à la campagne avec mon fils, j’en avais donc besoin pour tout ce qui était courses, visites médicales etc. Tous les quinze jours, je trouvais ma voiture avec soit les pneus crevés, soit les vitres brisées. Ma boite aux lettres était constamment fracturée, l’interphone sonnait à trois, quatre heures du matin, ce qui réveillait mon bébé. Je ne dormais plus, j’étais devenue toute maigre mais en plus de ça, il s’était arrangé pour que je n’ai plus aucun revenu. Comme il détenait aussi les codes de mon compte CAF en ligne, il déplaçait constamment mon dossier de département en département, ce qui fait que la CAF a soupçonné une fraude et suspendu le versement de toutes mes prestations.

Puis j’ai commencé à faire des paralysies faciales à chaque émotion, des « paralysie a frigore ». J’ai aussi fait des bursites supra patellaires [NDLR : inflammation des bourses séreuses, petits sacs situés au niveau des articulations] parce que j’étais devenue tellement maigre que mes genoux ne me supportaient plus.
J’ai déposé plainte sur plainte, mais sans jamais pouvoir prouver quoi que ce soit. Je n’avais que des enregistrements vocaux mais à l’époque, certains m’avaient persuadée que sans l’accord de la personne enregistrée, ils n’étaient pas recevables, alors qu’en fait ils l’étaient bien dans le cadre d’une affaire jugée au pénal. A l’époque je ne le savais pas.

Peu de temps avant la prononciation de l’ONC, mon ex-mari a envoyé quelqu’un pour m’intimider et s’assurer que je « ferme ma gueule au tribunal ».

Quand son émissaire m’a agressée, j’étais dans ma voiture, mon bébé de six mois à l’arrière. Il me menaçait en même temps qu’il me frappait, sans prendre en compte ce que je lui disais, il m’a tellement giflée que j’ai fini par marquer. J’ai porté plainte le soir même, accompagnée par la première de ses deux précédentes femmes.

Il est vrai qu’entre temps, et bien qu’il ait tenté de m’en dissuader, j’avais pris contact avec ses ex-femmes pour essayer de comprendre pourquoi lors des week-ends où on avait les enfants, l’ambiance était si froide. Personne ne parlait, tout le monde avait peur de lui, moi aussi, même s’il ne me frappait pas encore à cette époque. On évitait de le contrarier parce que la moindre parole de travers déclenchait des scènes épouvantables pouvant durer des heures et des heures, voire une journée entière.


Lorsque j’ai pu échanger avec ses ex, j’ai constaté que ce qu’il m’avait infligé était bien moindre que ce qu’elles, avaient subi. Côtes fêlées, rétine décollée, étranglements, bras cassés, certaines enceintes ayant fait une fausse couche suite aux coups reçus. Des viols conjugaux auxquels je ne sais pas pourquoi, j’avais du mal à croire à ce moment-là, ont été rapportés par plusieurs d’entre elles, alors qu’elles n’avaient aucun contact les unes avec les autres, se détestant mutuellement. J’ai vraiment reconnu à travers chaque femme sa manière de procéder, avec exactement les mêmes mots. C’était les demandes en mariage systématiques, certaines ont refusé, ou sont parties avant, d’autres sont tombées enceintes, ont perdu les enfants sous les coups ou sont arrivées au terme de leur grossesse... Quand je l’ai quitté, il avait trois enfants de trois femmes différentes.

Lors de l’ONC (Ordonnance de Non Concilliation), la juge a autorisé des visites médiatisées (sous surveillance) et lors de la prononciation du divorce, elle les a prolongées puisque les visites se passaient mal. Par exemple, il refusait de nourrir mon fils au prétexte que c’était moi qui avais apporté la nourriture, de plus il continuait à me harceler... J’ai déposé je ne sais combien de plaintes

En 2015 le procureur de Créteil a décidé d’ouvrir pour nous toutes, une enquête pour réunir tous les témoignages, les nôtres, et ceux de certains membres de notre famille et amis. Cette enquête a été perdue alors que j’ai encore tous les doubles. J’ai donc écrit à Marlène Schiappa en lui rapportant toute l’histoire, d’autant qu’il s’était radicalisé à l’islam de façon soudaine... Je suis aussi entrée en contact avec Sofia Sept (militante Femen) qui m’a aidée à médiatiser mon affaire puisque je suis passée à l’émission Crimes et faits divers. Quelques articles ont aussi été publiés sur le Huffington Post.

Pourtant, depuis 2015 rien n’a bougé, cette enquête perdue qui était la seule susceptible d’aboutir, n’a pas été retrouvée.

Au total, j’ai déposé 11 plaintes, toutes ont été soit classées soit « insuffisamment caractérisées », soit perdues. Je détiens aussi des enregistrements vocaux de policiers lors des dépôts de plaintes, qui témoignent de la façon dont ils les ont recueillies.

Comme je n’ai que l’aide juridictionnelle pour payer leurs honoraires, j’ai dû changer quatre ou cinq fois d’avocate. Dès qu’elles prenaient connaissance de l’affaire, quelque chose bloquait. Il y avait toujours des documents qu’elles refusaient de me montrer au prétexte que ça ne me concernerait pas, certains concernant les autres victimes et enfants de mon ex-mari. Comme je l’ai déjà dit, je suis celle qui en a le moins subi. Mon fils, dont j’ai demandé l’autorité parentale exclusive et que j’ai réussi à préserver jusqu’à présent (puisqu’il n’a jamais été en contact avec son père sans surveillance), est le seul à ne pas encore avoir été traumatisé. En parallèle une procédure de liquidation du régime matrimonial a été engagée, mais mon ex-mari ne veut pas me délier financièrement. Il a fallu des années avant qu’il accepte de vendre, j’ai dû me charger d’entamer la procédure. Au moment de la vente, il a refusé que l’argent qui était chez le notaire soit débloqué... ça n’en finissait pas !

Cet été, après un jugement du tribunal rendu en ma faveur concernant l’argent qu’il me devait (suite à la vente de l’appartement), j’ai subi deux tentatives d’effraction de mon domicile, et celui de ma mère a aussi été fracturé le même soir. Ma voiture elle, a été vandalisée quatre fois. Ma plainte a encore été classée sans suite, par contre j’ai reçu un rappel à la loi pour avoir ébruité les choses sur les réseaux sociaux. J’ai aussi entendu parler de « casier anonymisé », mon ex-mari serait un indic immatriculé de la police. 

Cet été j’ai mis en ligne une cagnotte pour m’aider à faire face.

J’ai deux procédures en cours, je sais qu’avec la seule aide juridictionnelle (j’ai deux avocates) rien n’avancera, vu la charge de travail que représente le dossier. Je veux aussi déménager pour qu’il ne puisse pas me retrouver et vivre enfin sereinement. (Fin du témoignage)


Cinq années de lutte, d'angoisse et de souffrance pour une jeune mère menacée, harcelée, violentée en toute impunité par son ex-mari et ses sbires. La collecte de fonds mise en ligne depuis plusieurs mois maintenant, ne lui a permis de récolter que 480 euros de la part de seulement 16 donateurs. Elle a pourtant été partagée 649 fois !

Considérant le montant exorbitant des frais de justice, à moins de la providentielle implication gracieuse d'un.e avocat.e ému.e par sa cause, d'une association, ou de l'expression tangible de notre solidarité, elle restera tributaire des lenteurs et des lacunes judiciaires françaises en matière de défense des droits des victimes, et plus particulièrement des femmes subissant ou ayant subi des violences conjugales.

Attendrons-nous un énième féminicide pour exercer une influence sur les faits, ébranler les fondations d'une société et son système judiciaire le plus souvent apathique dès lors qu'il s'agit de protéger les femmes et les enfants des violences masculines ?

Charlène, c'est notre sœur, notre amie, notre fille. Les violences faites aux femmes, prétendue grande cause du quinquennat d'Emmanuel Macron, sont l'affaire de toutes et tous. 

#NousSommesToutesCharlene.


Pour soutenir Charlène, cliquer ICI




 






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