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Tinder, les rouages d’une machine à cash.

Tinder, les rouages d’une machine à cash.

Vous est-il déjà arrivé de passer des nuits complètes à « swiper » sur Tinder, ce petit mouvement de glissement de l’écran vers la droite ou la gauche, avec le sentiment de ne pas pouvoir vous arrêter ? Déceptions sur déceptions, rien ne semble vous détourner de cette application de rencontres et vous n’arrivez pas à comprendre pourquoi ? Voici comment Tinder prend le contrôle de votre cerveau pour vous amener à swiper encore et encore.

Tinder, les rouages d’une machine à cash.

Tinder,  morale et inquisition numérique.

Parmi les applications de rencontres amoureuses les plus utilisées, tous âges confondus, Tinder est de loin la plus addictive et ce, grâce à  des principes directement liés au fonctionnement de votre cerveau, des automatismes acquis depuis des millénaires destinés à la perpétuation de l'espèce générant la sécrétion d’hormones du bonheur et du plaisir. Mais l'application va plus loin, elle évalue également votre QI en lisant vos messages et en répertoriant le nombre de mots recherchés utilisés. C'est le constat fait par la journaliste Judith Duportail qui a enquêté pendant 4 ans sur Tinder. Ayant mis la main sur le brevet de la société, la journaliste a également découvert que l'application évalue différemment les femmes et les hommes. Dans ce document, il est mentionné noir sur blanc qu'un homme qui a fait de bonnes études et gagne beaucoup d'argent aura des points bonus, quand une femme dans la même situation aura des points malus. En essayant de correspondre à la femme parfaite, l'utilisatrice ne se rend pas compte qu'elle est en train de se soumettre à ce qu'attend d'elle toute société patriarcale : sois belle et tais toi ! De la même façon, les hommes subissent les stéréotypes virilistes d'une masculinité basée sur la réussite, la position sociale et l'argent, lui ouvrant droit à des conquêtes toujours plus jeunes et belles.

Tinder, un « shoot de narcissisme ».

Tinder est une application gratuite de rencontres permettant de faire défiler des photos d'utilisateurs selon leur sexe et leur position géographique. Le fonctionnement est basé sur le « Swipe », le mouvement de balayage de l'écran. Si la photo de profil vous plaît, vous swipez vers la droite, sinon, vers la gauche. Lorsque l’interaction est réciproque, il y a « match ». Vous pouvez alors engager les échanges. L'objectif de l'application est de faire swiper l’utilisateur le plus longtemps possible afin de le pousser progressivement vers la version payante qui offre nombre d'options pour… swiper encore plus. Plus vous swipez et plus l'entreprise engrange des bénéfices.

Au début de l'expérience, l'utilisateur en manque d'assurance, est séduit par l'affluence de messages d'hommes ou de femmes désireux de faire connaissance à travers la poursuite des échanges par message ou autour d'un verre. L'ego est flatté, mais très vite la réalité reprend ses droits sur cette période de lune de miel, notamment lorsque ces mêmes personnes se révèlent être agressives en l'absence d'une réponse immédiate, ou se permettent d'envoyer des contenus salaces. Malgré cela, l'utilisateur ne peut s'empêcher de poursuivre sa quête sur l'application. C'est ce que la journaliste appelle un « shoot de narcissisme » .

Le principe de Tinder est le même que celui des jeux ; l'objectif, au-delà du fait de gagner, est d'avoir du plaisir à jouer.

Ainsi, la recherche d'un ou d'une partenaire doit procurer autant de plaisir que la rencontre éventuelle. Pour cela, Tinder se base sur le fonctionnement primaire du cerveau humain, conditionné à identifier en un temps record le ou la reproductrice idéale. Lorsque la personne vous plaît, le circuit de la récompense esthétique de votre cerveau est activé, de la même façon qu’il l’est en présence d’une œuvre artistique que vous admirez ou à l’écoute de votre musique préférée. Le cerveau humain est paramétré pour reconnaître ce qui est beau et ainsi s’en rapprocher. Il s’agit d’un mécanisme social irrésistible. Votre cerveau cherche partout la beauté et lorsqu’il la trouve, il considère cela comme une « super récompense ».

À chaque swipe, un nouveau profil apparaît que vous trouvez attractif ou pas. C'est du pur hasard et c'est le principe de la « récompense aléatoire » découvert par le célèbre psychologue américain Gurus Frédéric Skinner, en étudiant le comportement des souris grâce à sa célèbre « boîte de Skinner ». Dans cette boîte, la souris appuie sur un bouton qui distribue de la nourriture. Si elle n'est pas distribuée à chaque fois, la souris actionne le bouton encore plus souvent. Sur Tinder, c'est exactement la même chose. Le caractère aléatoire de la récompense esthétique agit comme un renforcement positif poussant l’utilisateur à swiper encore et encore. Pour être sûr d'activer tout le circuit de la récompense esthétique, Tinder évalue à votre insu votre désirabilité. Cette évaluation a été basée pendant des années sur le principe de l’Elo Score, un système inventé par le professeur de physique Arpad Elo pour faire s'affronter des joueurs d'échecs de même niveau. Le classement Elo est un système d’évaluation comparatif du niveau de jeu des joueurs d’échecs, de go ou d’autres jeux en « un contre un ». Le classement Elo attribue au joueur, suivant ses performances passées, un nombre de points (« points Elo ») tel que deux joueurs supposés de même force aient le même nombre de points. Plus le joueur est performant et plus son nombre de points Elo est élevé. Si un joueur réalise une performance supérieure à son niveau estimé, il gagne des points Elo. Réciproquement, il en perd s'il réalise une contre-performance. Ce système est également utilisé pour le classement des équipes de football (depuis juillet 2018 de manière non officielle), ainsi que par de nombreux jeux en ligne. Tout joueur qui participe à ce type de compétition se voit attribuer un classement provisoire, classement qui évoluera en fonction de ses performances, et qui reflète sa probabilité de gagner.

Sur Tinder, cette note à laquelle vous n'avez pas accès, évolue également selon vos performances.

Plus vous obtenez de Like, plus votre note est élevée. Contrairement à un site classique de rencontres où il vous est possible de consulter tous les profils, sur Tinder, vous ne voyez que ce que l'algorithmique sélectionne pour vous en fonction de votre score. Et pour vous inciter à vous connecter sans cesse sur l'application, Tinder va faire apparaître de temps à autres des profils dont la note est beaucoup plus élevée que la vôtre. Vous penserez alors avoir toutes vos chances, mais c’est techniquement impossible car si vous les voyez, eux ne vous voient pas. Vos possibilités de « matcher » sont donc nulles.

Plus vous swipez, plus vous sécrétez de dopamine et plus vous avez envie de swiper. Il vous est impossible de vous arrêter car, contrairement à l'appétit faisant qu’une fois rassasié vous n’avez plus faim, le système dopaminergique lui, ne possède aucun mécanisme de satiété. Swiper devient alors une activité addictive. Après de nombreuses heures d'utilisation, votre cerveau opère même un raccourci. Et ce n'est plus l'apparition de la photo, mais le geste en lui-même qui va directement provoquer l'afflux de dopamine, voire l’intention elle-même. C'est la raison pour laquelle vous continuez à swiper, même si vos tchats sont glauques et vos rendez-vous catastrophiques. Tinder, c'est l'art de gruger le cerveau en faisant miroiter quelques minutes d'amour pour que finalement, vous passiez toutes vos soirées à swiper.

Avec un chiffre d'affaires de 800 millions d'euros en 2018, Tinder est l'application la plus rentable de l'Apple Store.

Fin 2018, Tinder comptait près de 4 millions d’utilisateurs payants (1) mais ne communique plus sur le nombre d’abonnés depuis 2015, qui s’élevait alors à 60 millions d’inscrits selon l’application. Tinder revendique désormais 2 milliards de matchs par jour dans 190 pays et la France est le 4ème pays où l'appli est la plus téléchargée. En mars 2019, Tinder a déclaré abandonner son système de notation Elo score qui attribuait une note cachée à ses utilisateurs.



1  - « l’amour sous algorithme » – Judith Duportail.

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