Violences faites aux femmes : les éléments clés à connaître.
Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences graves dans le cadre familial, conjugal ou amoureux. Les violences faites aux femmes sont un problème de santé publique et entraînent de graves conséquences sur leur santé et celle de leurs enfants.

En 2019, elles furent 126 à mourir sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.
Les professionnels de santé sont les premiers interlocuteurs pour ces femmes isolées, renfermées sur elles-mêmes, c’est pourquoi il est important qu'ils les questionnent systématiquement en consultation, notamment lors d’un suivi de grossesse, période particulièrement à risque, mais également propice aux échanges patient-médecin. Toutefois, afin de les aider au mieux et leur assurer une bonne prise en charge, il est essentiel d'avoir au préalable constitué un réseau d’intervenants, psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux, référents de justice, police et acteurs associatifs.
Les différents types de violences.
Dans un couple où la violence s'installe, il y a une forte inégalité entre les conjoints dès les premiers temps de la relation. Le conjoint violent exerce le pouvoir, impose sa domination, son contrôle sur sa partenaire et les enfants. Du point de vue psychologique, il dévalorise sa victime : « tu cuisines mal, tu t'occupes mal des enfants », et dans le même temps, il instaure une forme de dépendance affective : « Je t'aime, personne ne t'aimera jamais autant ». Nous sommes dans une situation d'emprise. Dans tel cas, le rôle d'un professionnel consiste à aider la victime à défaire cette emprise afin de reprendre sa vie en mains.
Les violences au sein d'un couple commencent toujours par des violences psychologiques.
Sous leur aspect anodin, les violences psychologiques usent et cassent littéralement les victimes.
La violence verbale s’exerce de plusieurs façons :
- Les insultes et dénigrements,
- Le « non-verbal », ignorer la victime, l’invisibiliser.
- Les cris, qui font peur à toute la famille et créent de l'insécurité.
Très vite advient la violence sexuelle.
Une violence sexuelle consiste à imposer une décision sur l'activité et la santé génésique (contraception, avortement, grossesse, suivi gynécologique…). Dans le cadre d'un couple où s'exerce la violence, c'est le conjoint violent qui décide quand et sous quelle forme doit avoir lieu un rapport sexuel. Dans la progression de la courbe des violences conjugales, la violence sexuelle, par son puissant impact traumatique, marque une étape déterminante dans la dégradation du psychisme de la victime.
La violence économique.
Les violences économiques ont fait l’objet d’une définition officielle donnée par la Global Thinking Foundation, association italienne qui parraine des projets d'éducation financière pour laquelle une violence économique consiste en « des actes de contrôle et de monitorage du comportement d’une femme en termes d’utilisation et de distribution de l’argent, avec la menace pérenne de la priver de ressources économiques, à travers une exposition débitrice ou en l’empêchant d’avoir un travail et des recettes financières personnelles ainsi que d’utiliser ses propres ressources selon sa volonté. »
Confiscation des moyens de paiement, gestion unilatérale du patrimoine familiale, interdiction faite à sa conjointe de travailler, ce type de violences fut le sujet d’un groupe de travail pendant le Grenelle contre les violences conjugales. Les conclusions seront prises en compte dans la préparation du projet de loi sur l’égalité hommes-femmes prévu pour cette année. Cette loi devrait être construite avec les banques, entreprises et autres secteurs concernés.
La violence administrative.
Le violent se saisit de tous les papiers administratifs de sa victime. Elle est comme dépossédée de toute sa vie et dans l’incapacité du moindre mouvement, bloquée dans ses demandes de droits (titre de séjour ou passeport étranger, carte vitale, livret de famille, carnet de santé et document d’identité de l’enfant, quittance de loyer, bulletin de salaire, avis d’imposition, …). Le but de ces violences consiste à contrôler sa partenaire, à l’empêcher d’engager des démarches administratives lui permettant d’être autonome et à l’exclure des décisions à prendre pour la famille. Les partenaires de nationalité étrangère sont particulièrement touchées par ces violences administratives.
Les violences physiques.
- La première gifle.
Il s'agit d'une étape très importante dans ce type de couples. Elle déclenche à la fois colère et tristesse chez la victime qui réalise en état de choc, qu'il a « osé » la frapper. Dans un même temps, l'agresseur joue sur deux tableaux affectifs : la reconnaissance (parfois les excuses) de l'acte violent accompagnée d'une auto-justification : « C'est vrai, je t'ai frappée, je suis désolé mais... » À travers ce renversement de la charge de la faute, la victime aura tendance à culpabiliser et c’est ainsi que l’étau se refermera un peu plus sur elle. Mais par cet acte, se dessinera également l'alternative de se rapprocher d'un professionnel de santé ou des services de police. Ce premier stade de la violence physique, s’il n’est pas suivi d’une décision ferme de rupture, emboitera systématiquement le pas à des violences de plus en plus graves pouvant aller jusqu'au meurtre ou au suicide.
- Le cycle de la violence :
1 - la tension jusqu'à l'agression (verbale, physique)
2 - La justification et la déresponsabilisation
3 - La rémission (Lune de miel, réconciliation sur l'oreiller)
4 - De nouveau, la tension jusqu'à l'agression ect.
Pour sortir de ce cycle de violences, les femmes victimes ont besoin d'être aidées et les premiers à proposer une aide doivent être les professionnels de santé. Comment ? En posant la question : Êtes-vous/avez-vous été victime de violences ?
Causes des violences
Dans ses travaux, Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue et féministe française, a mis en lumière la notion de « valence différentielle des sexes ». Ce concept décrit un rapport hiérarchique entre les catégories attribuées aux sexes masculin et féminin. Il s’agit de catégories mentales servant à la cognition et l'intelligence des choses. Nous fonctionnons au travers de catégories dualistes qui opposent des valeurs comme le haut le bas, le supérieur et l’inférieur, le chaud et le froid, l’actif et le passif ect. Toutes sont associées, pour les premières au masculin, pour les secondes au féminin et sont hiérarchisées, les masculines étant considérées supérieures aux féminines. Ces catégories sont accompagnées d'un langage de domination issu d’un modèle archaïque universel qui est celui du rapport des sexes dans les sociétés humaines.
Hiérarchie entre les sexes : un facteur explicatif des violences faites aux femmes.
Cette hiérarchie entre les sexes est calquée sur une représentation née à l'aube de l'humanité qui a permis aux hommes de considérer que le corps de leur fille ou sœur leur appartenait et qu'ils pouvaient en disposer pour l'échanger contre celui de filles ou sœurs d'autres hommes dans le but d'obtenir des épouses. La hiérarchie qui existait entre frère et sœur est identique à celle qui, de nos jours, s'est transposée de façon globale aux relations hommes-femmes et qui est généralement le cadre de l'exercice des violences masculines.
La différence entre les sexes structure la pensée humaine et l'organisation sociale mais les rapports du masculin peuvent être changés via des actions positives, comme ce fut le cas du droit à la contraception. Cela dit, si modifier le rapport des sexes est indispensable, cela ne signifie pas qu'il faille supprimer la notion même de hiérarchie. Car compte-tenu de la néoténie de notre espèce, autonome très tardivement, les individus humains ont tant intériorisé la sujétion, la dépendance, l'obéissance, que la notion de hiérarchie est devenue quasi partie-prenante de l’espèce.
Le point de vue anthropologique.
Selon Françoise Héritier, le point aveugle de l’anthropologie se situe dans le questionnement du statut du masculin et plus précisément, du masculin adulte, la virilité adulte dont on ne parle pas. Il s'agit d'oppositions binaires, jamais neutres, car quelles que soient les cultures, on attribue à ces termes des valeurs positives ou négatives.
Or, dans chaque culture ce sont systématiquement les termes, les valeurs et les propriétés associées au masculin qui sont considérées comme positives. À cette angoisse originelle liée au mystère de la reproduction, les hommes ont répondu par la mise en place à tous les niveaux de l’organisation sociale, d’un contrôle de la reproduction qui passe par l’appropriation et la maîtrise du corps des femmes, y-compris par toute forme de violence. L’identité masculine est en effet en tout premier lieu une structuration individuelle organisée à travers un rapport à soi dans les conduites, les attributs et les signes extérieurs des hommes dans leur vie quotidienne et qui s’inscrivent dans un écosystème de relations avec les autres et eux-mêmes. C’est dans un tel environnement que dans les sociétés occidentales ou occidentalisées, ainsi que dans beaucoup d’autres sociétés mondialisées, se construit cette image, celle d’un homme chef de famille, travailleur, assurant la sécurité financière du ménage et principal décisionnaire dans la plupart des domaines. Une masculinité promue, vantée et célébrée tout autant qu’elle peut être source de crainte, d’anxiété, d’insécurité, de souffrance, d’auto-limitation et de transgression. Ces deux aspects contradictoires sont générateurs des violences faites aux femmes comme affirmation et comme compensation.
Plus de 90% des violences de genre sont perpétrées par des hommes et le sont très largement sur les femmes.
Les hommes passant à l’acte de viol sur les femmes cherchent à se rassurer sur leur puissance, l’exprimer et exercer leur « droit à la domination ». Ils cherchent également à en jouir ou se venger de sa remise en cause. En essayant de se conformer à des représentations hégémoniques de la virilité, ces hommes, le plus souvent de compétences sociales faibles sont par ailleurs peu conscients de commettre un acte violent. Ils peuvent même considérer que leur victime, au fond, accepte l’acte commis. Les causes d’un tel ressentiment envers les femmes peuvent être multiples ; psychologiques, familiales ou sociales. Les violences sexuelles peuvent aussi représenter une condition pathologique de la vie sexuelle à travers la mise en scène, le plus souvent ritualisée, d’un fantasme qui fait de la souffrance, voire de la mort, un moteur de la sexualité. Enfin, les violences sexuelles vécues et pratiquées collectivement peuvent structurer et consolider le lien social patriarcal.
Le point commun à tous ces types de violences faites aux femmes : un régime d'autorisation.
Alors qu'il est produit et revendiqué comme norme quasi-naturelle, le système patriarcal légitime les hommes dans l'évidence de leur domination. Les actes de violence à l'encontre des femmes, quels qu'ils soient, sont même parfois glorifiés, promus et valorisés dans l'espace public. Dans l'espace privé, s'ils ne sont pas valorisés ou promus en tant que tels, ces comportements sont ignorés, occultés, refoulés. Et beaucoup de sociétés, y-compris la notre, sont réticentes à intervenir dans l'espace privé des violences domestiques. Les différents registres des comportements violents des hommes sont une forme d'exutoire, de compensation, de réponse à cette dissonance cognitive fondamentale qui surjoue l'affirmation et l'auto-conviction de leur masculinité et virilité. Les hommes expriment plutôt une incapacité socialement acquise à comprendre et ressentir les sentiments d'autrui. La colère se trouve être comme un mode d'expression alternatif à tous les autres sentiments qui ne doivent pas être exprimés : doute, sentiment de ne pas satisfaire correctement ou suffisamment aux injonctions à être un homme, angoisse, peur, insécurité, rejet, humiliation, impuissance ou sentiment d'impuissance.
L'avortement, une autre violence de genre.
L'avortement n'est pas une forme de violence anodine puisque selon l'institut Allan wandmacher, en 2010, 25% de la population mondiale vivait dans des pays où l'interruption de grossesse n'était autorisée que si la vie de la femme était menacée. L'avortement peut sembler un exemple paradoxal car il a longtemps été présenté comme une affaire de femmes. Il est cependant nécessaire de dépasser cette représentation instrumentalisante pour tenter une analyse de ce phénomène dans la sphère publique, celle des violences institutionnelles.
En même temps que l'avortement fait l'objet d'interdits religieux et juridiques, les hommes sont à l'origine de l'encouragement de ce que l'on peut appeler des avortements de convenance, des avortements sélectifs au nom de la préférence archaïque pour les garçons qui, en Asie par exemple, représentent un enjeu sociétal majeur. C'est ainsi que l'on crée au coeur des traditions de modèles patriarcaux de l'Inde ou de la Chine, cette préférence manifeste dans le droit en matière d'héritage ou de succession, ainsi que le statut d'infériorité sociale des femmes.
La domination sur les femmes et son cortège de violences est l'expression et le résultat d'entreprises et de dispositifs qui à terme, ne peuvent que questionner les hommes eux-mêmes, voire remettre en cause leur domination, qu'elle affiche une coercition de moins en moins acceptable socialement, ou qu'elle soit confrontée à ses propres contradictions.
Ressources : PNS-mooc.com
- Centre Virchow-Villermé
- Université Paris Descartes
- Université de Genève -
- Faculté de médecine
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