Virginité : le prix du sang

La sexualité féminine sous contrôle.
L’exhibition de la couche nuptiale maculée de sang est une tradition prenant source dans le livre du Deutéronome (22,13-21) de l’Ancien Testament. On en retrouve manifestation notamment en Russie, dans le monde rural français jusqu’à l’aube du 20ème siècle et bien sûr dans les pays de culture arabo-musulmane. Ce rituel censé porter la preuve irréfutable de la virginité pré-maritale de la jeune épousée, est à l’origine de l’invention d’habiles stratagèmes pour leurrer les maris et sauver les apparences. Vers la fin du 11ème siècle, Trotula de Salerne, médecin et chirurgienne, propose aux femmes ayant perdu leur virginité de s’enduire les parties génitales d’une mixture à base de sucre en poudre, de blanc d’œuf, de pierre d’alun et de diverses plantes pour simuler l’écoulement du sang. Il leur est aussi suggéré de faire coïncider la date de leur mariage avec la période de leur menstrues. Les subterfuges auxquels recourent encore les femmes pour s’affranchir du joug de la trace de sang ne sont certainement pas motivés par la seule question des relations sexuelles avant mariage. Ne doutons pas que la gent féminine sait depuis fort longtemps que la défloration ne rime pas forcément avec perte de sang.
Cependant, ce qui hier était secret de femme est aujourd’hui notoire et la suspicion s’est emparée des hommes toujours attachés à l’expression de leur domination via la défloration de leur épouse. Au drap maculé de sang ils semblent aujourd’hui préférer l’examen gynécologique, tel le rapper américain TI qui a récemment révélé en imposer un à sa fille chaque année depuis son seizième anniversaire. Cette volonté de contrôler la sexualité des femmes s’ancre dans une pathétique contre-offensive masculiniste, une tentative désespérée de restaurer les ruines d’un « système où le masculin incarnait à la fois le supérieur et l’universel ». Le monde change, évolue, n’en déplaise à ceux qui, pétris de certitudes monolithiques, peinent à suivre les mouvements de l’histoire. Les femmes sont libres et maîtresses de leur sexualité. Qu’elles désirent garder ou perdre leur virginité relève d'un choix qu'elles font en leur âme et conscience. Aucun jugement de valeur ne saurait être prononcé à leur endroit, car la virginité ou son absence ne peut plus se penser en termes de vice ou de vertu, de corruption ou de pureté. À contrario, imposer la virginité ante-maritale sous couvert de fumeux argumentaires religieux ou philosophiques machistes n’est tout simplement plus acceptable.
Malheureusement, nombre de filles subissent la pression de leur famille ou de leur communauté et pour se conformer au modèle virginal, optent pour la reconstruction chirurgicale de leur hymen, l’hyménoplastie. Aujourd’hui cette « chirurgie réparatrice de convenance personnelle » fait l’objet d’un business florissant. De nombreux chirurgiens proposent cette intervention via leur site web en prenant soin de préciser que le but est « de réparer l’hymen de façon invisible » en assurant que « le premier rapport sexuel faisant suite au mariage déclenchera un léger saignement ». Chirurgicalement, l’opération qui ne présente pas de grandes difficultés et ne dure qu’une trentaine de minutes est facturée entre 600 et 3500 euros ! De fait on comprend mieux les fallacieux arguments d’un chirurgien : « Je ne crois pas que cette opération perpétue un contrôle de la sexualité des femmes, ni les inégalités entre les sexes. Je vois plutôt cette opération comme un moyen pour ces femmes d’intégrer la culture de leur choix ».
Au vu des tarifs pratiqués en Europe de l’Ouest, des agences spécialisées dans le tourisme médical proposent des forfaits all inclusive (avion, hôtel et intervention) pour se faire opérer à moindre frais (750 euros en Tunisie).
La défloration ou l'appropriation du corps des femmes.
Pour Michel Dorais, sociologue et spécialiste du genre et des sexualités, « cette pratique (l'hyménoplastie) est issue de traditions et de cultures ou la virginité de la femme est considérée comme un bien. J’utilise le terme bien, parce qu’un bien, ça se vend, ça s’achète et ça se restaure. Cela pose donc la question : à qui appartient le corps des femmes ? » Pour répondre à cette question éthique fondamentale, il est essentiel de se pencher sur le lien historique qui lie la perte de virginité et le concept de propriété. Lorsque les explorateurs des siècles passés découvraient une terre vierge de présence humaine (les indigènes, considérés comme des animaux, étaient exclus de ce champ), leur premier réflexe était de planter le drapeau de leur nation pour en marquer la prise de contrôle et un ascendant légitime sur son éventuelle exploitation. Le territoire devenait donc propriété de celui qui, par cette première incursion, en avait rompu la virginité. La défloration n'échappe pas à cette corrélation, l'époux signifiant par cet acte qu'il est le premier et restera le seul à pouvoir jouir sexuellement du corps de l'épousée dont il est devenu propriétaire exclusif. La virginité ante partum n'ayant qu'une réalité momentanée, on peut finalement se demander si l'exigence de la virginité ne sert pas à écarter toute suspicion sur la légitimité de la propriété, plutôt qu'un doute sur la pureté de la filiation.
Le dépucelage d’une fille reste pour une grande partie de la gent masculine un fait d’armes qui marque une carrière et la symbolique appropriation du corps féminin via la défloration n’est certainement pas étrangère à l’excitation que ressentent certains hommes pour les filles vierges. La virginité est un bien comme le dit Michel Dorais qui se vend et s’achète et la pratique n’est pas récente – au temps des geishas, la défloration des maikos, le mizuage, se monnayait à prix d’or. Aujourd’hui, ce commerce qui se concentre principalement dans les pays pauvres est en plein essor, l'hymen des filles et fillettes se bradant parfois pour quelques centaines d’euros. Si dans le Japon du XVIIème siècle le mizuage s’inscrivait dans une démarche initiatique, le marché de la virginité d’aujourd’hui est simplement sordide, odieux et criminel.
"Je vends ma virginité".
Depuis quelque années, le "business des vierges" s’est diversifié et à titre personnel ou par l’entremise d’agence d’escorte girls, des filles vendent leur défloration au plus offrant. En googlisant « je vends ma virginité », on obtient 1 160 000 résultats ! Confondant ! On reste du dubitatif devant l'état de résignation de nos élites politiques, leur positionnement apathique face à l'amoralité, leur démission devant leur devoir de porter le progrès des consciences. Se satisfaisant de l'hypocrisie ambiante qui autorise Facebook à censurer les pho une campagne photo contre le cancer du sein et dans un même temps laisse prospérer le business des vendeurs de vierges, elles gouvernent sans autres ambitions que de servir les intérêts cyniques du néo-capitalisme pour lequel plus rien n'a de valeur, mais tout a un prix.
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